Elle loue mon appartement sur Airbnb, change les serrures et refuse de partir depuis 10 mois !

PARTIE 1

Il est 18 heures, et la nuit tombe déjà sur le 11ème arrondissement de Paris. La pluie fine et glaciale de novembre me fouette le visage, mais je ne la sens même plus. Je suis plantée là, sur le trottoir d’en face, les yeux rivés sur le troisième étage d’un immeuble haussmannien. C’est chez moi. C’est mon appartement. Les lumières sont allumées. Je vois une silhouette passer devant la fenêtre, une tasse à la main. C’est elle.

Je serre les poings dans mes poches jusqu’à ce que mes ongles s’enfoncent dans ma peau. J’ai les clés dans mon sac à main. Mais elles ne servent plus à rien. Elle a changé le barillet.

Je m’appelle Camille. Je suis infirmière libérale. J’ai passé les quinze dernières années à enchainer les gardes de nuit, à économiser chaque euro, à me priver de vacances pour m’offrir ce trois-pièces. C’était mon rêve, ma sécurité, mon futur. Aujourd’hui, je suis obligée de dormir sur le canapé d’une amie, parfois même dans ma voiture quand la honte est trop forte, pendant qu’une inconnue vit dans mes meubles, dort dans mes draps et consomme mon électricité.

Tout a commencé en février dernier. Avec l’inflation et les charges de copropriété qui explosaient, j’ai décidé de mettre mon appartement sur Airbnb pour une courte durée. Juste un mois, le temps d’aller m’occuper de ma mère malade en province. C’était censé être une solution simple.

J’ai reçu la demande de réservation d’une certaine Elodie. Profil vérifié, bonne communication, l’air respectable. Elle m’a raconté une histoire touchante : son appartement à elle avait subi un incendie, elle avait besoin d’un logement temporaire le temps des travaux. J’ai eu de l’empathie. Je me suis dit : “Pauvre femme, il faut l’aider”. Si j’avais su que je signais mon arrêt de m*rt financière, j’aurais fui en courant.

Le premier mois s’est bien passé. Puis, le 29 mars, jour de son départ théorique, le silence.

Je lui ai envoyé un message pour organiser la remise des clés. Pas de réponse. J’ai appelé. Messagerie. Inquiète, je suis remontée à Paris en urgence, pensant qu’il lui était arrivé quelque chose de grave. Je suis arrivée devant ma porte, mon trousseau à la main. J’ai inséré la clé. Elle est entrée à moitié, puis a bloqué.

Mon cœur a raté un battement. J’ai réessayé, les mains tremblantes. Rien. La serrure avait été changée.

J’ai frappé. D’abord doucement, puis de toutes mes forces. — Elodie ? C’est Camille ! Ouvrez cette porte !

J’ai entendu des pas lourds s’approcher, puis sa voix, feutrée, presque moqueuse, à travers le bois épais : — Vous n’avez pas le droit d’être là. Partez ou j’appelle la p*lice pour harcèlement.

Le monde s’est effondré sous mes pieds. Moi ? La harceleuse ? C’est mon nom qui est sur l’acte de propriété ! C’est mon crédit que la banque prélève tous les mois !

J’ai couru au commissariat du quartier, en larmes, dossier sous le bras. Je pensais qu’ils allaient envoyer une patrouille, défoncer la porte et me rendre ma maison. La naïveté… L’agent à l’accueil m’a regardée avec un air fatigué que je n’oublierai jamais.

— Madame, elle est là depuis plus de 48 heures ? — Oui, ça fait un mois, c’était une location Airbnb ! — Alors c’est son domicile principal maintenant. On ne peut pas l’expulser comme ça. C’est un litige civil. Vous devez prendre un avocat et saisir le tribunal.

— Mais elle a v*lé ma maison ! Elle a changé les serrures ! C’est une violation de domicile ! — Non madame, elle est entrée avec votre accord initialement. Ce n’est pas une violation de domicile au sens pénal. C’est un locataire qui ne part pas.

Je suis sortie du commissariat, sonnée, comme si on venait de me frapper à la tête avec une batte de baseball. Je ne savais pas encore que je venais d’entrer dans un labyrinthe juridique infernal.

Les semaines suivantes ont été une descente aux enfers. J’ai découvert qu’Elodie connaissait la loi mieux que moi. Mieux que mon avocat. Elle avait tout calculé. Elle avait mis le contrat d’électricité à son nom dès la première semaine. Aux yeux de la loi française, cette simple facture EDF la protégeait. Elle était chez elle.

J’ai tout essayé. J’ai envoyé des recommandés. Elle ne les a jamais récupérés. Je lui ai même proposé de l’argent pour partir, 2 500 euros, juste pour récupérer ma vie. Elle a ri au téléphone avant de raccrocher.

Pendant ce temps, je continue de payer le crédit : 1 800 euros par mois. Les charges : 300 euros. Et maintenant, ses factures d’eau et de chauffage, car monsieur le juge a estimé que couper les fluides serait illégal de ma part. Je me saigne aux quatre veines. Je travaille double, je fais des heures supplémentaires à l’hôpital jusqu’à l’épuisement, juste pour maintenir un toit au-dessus de la tête de cette femme qui me méprise.

Le pire, c’est l’humiliation. Hier, j’ai vu son compte Instagram. Elle a posté une photo d’elle, un verre de vin à la main, assise dans mon fauteuil en velours vert que j’avais chiné aux puces de Saint-Ouen. La légende disait : “La vie parisienne, quel bonheur #Blessed #HomeSweetHome”.

J’ai cru devenir folle. La rage m’a envahie, une rage noire, vis*érale. Je suis retournée à l’appartement ce matin. J’ai collé une affiche sur la porte : “ICI VIT UNE SQUATTEUSE”. Je voulais que les voisins sachent. Je voulais qu’elle ait honte.

Dix minutes plus tard, la police était là. Pas pour elle. Pour moi. Elle les avait appelés en disant que je la menaçais. J’ai dû décoller mon affiche sous le regard satisfait d’Elodie qui m’observait par l’entrebâillement de la porte, un petit sourire en coin.

— Vous voyez, a-t-elle dit aux policiers avec une voix de victime, elle est instable. J’ai peur pour ma sécurité.

J’ai hurlé. J’ai hurlé ma douleur dans la cage d’escalier jusqu’à ce qu’un policier me prenne par le bras pour me faire sortir. — Calmez-vous madame, ou on vous emmène en garde à v*e.

Dehors, sous la pluie, j’ai réalisé que j’étais seule. Le système m’avait abandonnée. Mais ce qu’Elodie ne sait pas, c’est que je n’ai plus rien à perdre. Absolument plus rien. Et quand on n’a plus rien à perdre, on est prêt à tout.

Ce soir, j’ai pris une décision. Si la loi ne peut pas m’aider, je vais devoir trouver une autre solution. Je regarde une dernière fois ma fenêtre éclairée. Profite bien de ta soirée, Elodie.

PARTIE 2 : L’Otage de sa Propre Vie

Le réveil n’est pas une sonnerie, c’est une douleur. Une crampe aiguë dans les cervicales qui me rappelle instantanément où je suis : sur le siège conducteur rabattu de ma Twingo, garée dans une rue sombre du 20ème arrondissement pour éviter de payer le stationnement.

Il est 5h30 du matin. La condensation a transformé l’intérieur de la voiture en une bulle humide et glaciale. Je gratte la buée sur la vitre avec ma manche. Dehors, Paris s’éveille. Les éboueurs passent, les premiers métros grondent sous le trottoir. Pour eux, c’est une journée normale qui commence. Pour moi, c’est le jour 45 de mon cauchemar.

Je me regarde dans le rétroviseur et je ne me reconnais plus. J’ai des cernes violets sous les yeux, ma peau est terne, mes cheveux sont gras. Je suis infirmière. J’ai passé ma vie à prendre soin des autres, à être propre, carrée, professionnelle. Aujourd’hui, je dois me faufiler dans les vestiaires de l’hôpital une heure avant ma prise de poste pour prendre une douche chaude et brosser mes dents, en priant pour qu’aucune collègue ne me surprenne avec ma trousse de toilette et mon sac de couchage.

“Ça va Camille ? Tu as l’air fatiguée en ce moment”, m’a dit Julie hier à la pause café. J’ai menti. J’ai souri et j’ai dit : “Oui, juste un peu d’insomnie.” Comment lui dire ? Comment avouer que je suis SDF alors que je suis propriétaire d’un appartement à 500 000 euros ? La honte est un bâillon plus efficace que n’importe quelle menace.

Le Mur de l’Absurdité Administrative

À 9h00, après ma garde de nuit, au lieu d’aller dormir, j’ai rendez-vous avec Maître Valérie Dumont, une avocate spécialisée en droit immobilier. J’ai mis mes dernières économies dans cette consultation. J’espère un miracle. J’espère qu’elle va me dire : “C’est bon Camille, on a une faille, on va la sortir demain avec les flics.”

Le cabinet est cossu, dans le 8ème. Le contraste avec ma voiture est violent. Je m’assois, je déballe tout : les captures d’écran Airbnb, l’acte de propriété, mes relevés bancaires qui montrent que je paie toujours tout.

Elle écoute, prend des notes, fronce les sourcils. Puis, elle pose son stylo et me regarde avec une pitié professionnelle qui me glace le sang.

— Madame, je vais être franche. Votre situation est complexe. Comme elle est entrée légalement via Airbnb, ce n’est pas une violation de domicile au sens strict du terme, c’est un maintien dans les lieux sans droit ni titre. — Et alors ? C’est pareil ! C’est du vol ! — Moralement, oui. Juridiquement, non. Nous devons lancer une procédure d’expulsion. Nous devons assigner en référé. Ensuite, il faut obtenir une décision de justice. Ensuite, il faut signifier le commandement de quitter les lieux. — Combien de temps ? je demande, la gorge serrée. — Si tout va vite… entre 8 et 12 mois. — Un an ? Vous vous moquez de moi ? Je ne tiendrai pas un an ! Je paie 2000 euros par mois pour cet appart ! Je suis à la rue ! — Je sais, c’est terrible. Mais il y a un autre problème. Nous sommes en novembre. La trêve hivernale a commencé le 1er novembre. Même si on obtient une décision d’expulsion demain, elle ne sera pas exécutable avant le 31 mars prochain.

Le 31 mars. Le monde tangue. Je vais devoir passer Noël dans ma voiture pendant qu’elle décore mon sapin ?

— Il n’y a rien à faire ? Absolument rien ? — On peut demander des indemnités d’occupation, dit l’avocate. Mais soyons réalistes, si elle est insolvable, vous ne toucherez jamais rien. Le mieux… c’est de négocier. — Négocier avec une terroriste ? — Parfois, payer le squatteur pour qu’il parte coûte moins cher que la procédure.

Je sors du cabinet avec une envie de hurler. Payer. Payer mon bourreau. Le système marche sur la tête. En France, on protège celui qui vole le toit plutôt que celui qui le paie.

L’Ennemie Intime

Je n’ai pas pu m’empêcher. C’est devenu une obsession maladive. Je passe mes journées libres garée au coin de ma rue, à observer mon immeuble. Je suis devenue l’ombre de ma propre vie.

Ce midi-là, je la vois sortir. Elodie. Elle est rayonnante. Elle porte un long manteau beige… mon manteau beige. Celui que j’avais laissé dans le dressing de l’entrée parce qu’il faisait trop doux quand je suis partie. Mon cœur bondit dans ma poitrine. Elle marche d’un pas léger, un sac de courses bio à la main. Elle s’arrête pour discuter avec Monsieur Lambert, le concierge. Monsieur Lambert, qui m’a vue grandir, qui connaît mes parents.

Je les vois rire. Elle lui touche le bras, fait une blague. Il sourit, charmé. Je suis pétrifiée. Elle a réussi à se mettre l’immeuble dans la poche.

Quand elle rentre, je fonce voir le concierge. — Monsieur Lambert ! Il sursaute. Il me regarde de haut en bas. Je dois avoir l’air d’une folle avec mes cheveux en bataille et mes yeux rouges. — Ah, Camille… On ne vous voit plus. — Vous lui parliez ? Vous parliez à cette femme ? Vous savez qu’elle me vole mon appartement ? Il a l’air gêné, il recule d’un pas. — Écoutez Camille, je ne veux pas d’histoires. Elle est très polie, cette dame. Elle m’a expliqué que vous aviez un différend financier, que vous lui deviez de l’argent et qu’elle restait là en attendant le remboursement. — Quoi ?! C’est un mensonge ! C’est une squatteuse ! — Elle m’a montré des papiers, Camille… Et puis, elle a une petite fille, vous savez. On ne met pas une mère et son enfant dehors.

Une petite fille ? Le sol se dérobe encore une fois. Il n’y avait pas d’enfant sur la réservation Airbnb. Je comprends soudain la stratégie. C’est le bouclier ultime. En France, si vous avez un enfant mineur, vous êtes intouchable. Elle a fait venir sa fille pour blinder sa position. C’est une professionnelle. Elle n’en est pas à son coup d’essai.

Je remonte dans ma voiture et je sors mon téléphone. Je tape son nom complet sur Google. J’avais déjà cherché, mais pas assez bien. Je fouille les réseaux sociaux, je croise les données. Je trouve un vieux forum de discussion sur les arnaques à la location datant de 2021. Un utilisateur parle d’une “Elodie R.” qui a occupé un studio à Lyon pendant 14 mois sans payer. Je continue mes recherches. Je trouve son compte Vinted. Mon sang se glace. Dernier article mis en ligne il y a 2 heures : “Sac à main cuir vintage, très bon état – 120€”. C’est le sac de ma grand-mère. Il y a aussi mes foulards, une paire de bottines que je n’avais même pas encore portées, et même ma machine à café Nespresso. Elle ne se contente pas de vivre chez moi. Elle liquide mes biens pour financer sa vie de parasite. Elle vend mon histoire, mes souvenirs, mon héritage pour s’acheter ses légumes bio et payer son forfait téléphonique.

La rage qui monte en moi n’est plus humaine. C’est une chaleur froide, métallique. Je ne peux pas appeler la police pour ça. Ils me diront que c’est du “civil”, qu’il faut prouver que c’est à moi, que c’est parole contre parole. Non. Il faut que je la confronte.

La Tentative de Sabotage

Le lendemain, j’ai tenté le tout pour le tout. J’ai appelé EDF pour couper l’électricité. — Je suis désolée madame, a répondu l’opératrice, mais le compteur a été basculé au nom de Madame Elodie Romero. Nous ne pouvons pas couper l’électricité d’un occupant, surtout en période hivernale. C’est illégal. — Mais c’est mon appartement ! — Le contrat est à son nom. Si vous êtes propriétaire, vous devez voir ça avec la justice.

J’ai essayé Internet. J’ai résilié ma box à distance. Une petite victoire ? Tu parles. Trois heures plus tard, je voyais sur son Instagram une story avec la légende : “Petit souci de wifi, heureusement que la 5G existe. Soirée Netflix et chill.” Elle a réponse à tout. Elle a toujours un coup d’avance.

L’Audience de la Honte

Deux semaines plus tard, c’est le jour de l’audience en référé. Une date obtenue “en urgence” grâce à mon avocate qui a fait pression. Je suis stressée, j’ai mis ma seule chemise propre. Je me dis que la justice va enfin ouvrir les yeux.

Elodie est là. Elle n’a pas d’avocat. Elle se défend seule. Elle porte une tenue modeste, un peu usée, rien à voir avec les vêtements de marque qu’elle porte sur ses photos. Elle joue un rôle. Devant le juge, elle se met à pleurer. Des larmes de crocodile, mais tellement convaincantes.

— Monsieur le Juge, commence-t-elle d’une voix tremblante, je suis une victime. J’ai payé cette dame en liquide pour six mois d’avance, mais elle a refusé de me faire un reçu pour ne pas déclarer ça aux impôts. Et maintenant, elle veut me jeter à la rue avec ma fille de 6 ans qui est asthmatique. — C’est faux ! je crie, me levant de mon banc. C’est un mensonge absolu ! Elle n’a jamais rien payé !

Le juge frappe son marteau. — Madame, taisez-vous ou je vous fais évacuer. Laissez parler la partie adverse.

Elodie continue, sortant de son sac des “preuves” fabriquées. Des faux messages WhatsApp imprimés où une personne nommée “Proprio” lui demande du cash. — Regardez, Monsieur le Juge. Et en plus, l’appartement est insalubre. Il y a des fuites d’eau, le chauffage marche mal. Ma fille tousse toute la nuit. J’ai dû acheter des chauffages d’appoint. Je demande un délai pour me reloger et que madame fasse les travaux nécessaires.

Mon avocate tente de démonter ses arguments, montre les relevés bancaires, explique l’absence de bail. Mais le doute est instillé. Le juge, débordé, fatigué, regarde le dossier avec lassitude. — Bien. Je mets l’affaire en délibéré. Décision dans trois semaines. En attendant, madame Romero reste dans les lieux. Et je rappelle à la propriétaire qu’il est interdit de se faire justice soi-même. Toute tentative d’expulsion forcée sera sévèrement punie.

Je sors de la salle d’audience en titubant. Elle m’a eue. Elle a retourné la situation. Je suis passée de victime à “propriétaire véreuse” en dix minutes. Dans le couloir, Elodie passe à côté de moi. Elle s’arrête un instant, vérifie que personne ne regarde. Son visage de victime s’efface pour laisser place à ce sourire arrogant qui hante mes nuits. — Tu devrais arrêter de te battre, Camille. Ça te coûte cher en avocat. Garde ton argent pour te payer un hôtel, tu as l’air horrible. Puis elle part, ses talons claquant sur le marbre du tribunal.

La Rupture

Ce soir-là, je suis retournée devant l’immeuble. Il pleuvait encore. Toujours cette pluie parisienne qui vous rentre dans les os. Je ne peux plus supporter de voir cette lumière allumée au troisième étage. C’est ma lumière. C’est mon électricité. C’est ma vie.

J’ai vu une camionnette de livraison arriver. Un livreur a sonné à l’interphone. — Livraison pour Madame Romero ! — 3ème étage, a répondu sa voix.

La porte de l’immeuble s’est ouverte. Le déclic a été immédiat dans ma tête. La porte est ouverte. Je n’ai pas réfléchi. Je n’ai plus peur de la police, je n’ai plus peur du juge. Je suis sortie de ma voiture et je me suis engouffrée dans le hall juste avant que la porte ne se referme derrière le livreur.

Mon cœur bat à tout rompre, il résonne dans mes oreilles comme un tambour de guerre. Je monte les escaliers quatre à quatre, mes baskets mouillées crissant sur les marches. Arrivée au troisième, je me cache dans l’encoignure du demi-étage. Le livreur tend un gros colis à Elodie qui est sur le pas de la porte. C’est une commande Amazon. Probablement achetée avec l’argent de la vente de mon sac. Elle signe, prend le colis. — Merci, bonne soirée.

Au moment où le livreur tourne les talons et commence à descendre, je bondis. Je ne sais pas ce que je vais faire. Je veux juste entrer. Je veux juste être chez moi. Je cours vers la porte avant qu’elle ne la claque. — NON !

Je mets mon pied dans l’entrebâillement. La porte percute ma chaussure violemment. La douleur est atroce, mais je tiens bon. Elodie pousse de l’autre côté, paniquée. — Dégage ! Tu es folle ! Au secours !

Je pousse de toutes mes forces, l’adrénaline décuplant ma puissance. Je suis à bout, je suis une bête traquée. — C’est chez moi, salope ! Ouvre ! Je réussis à passer une épaule. Je vois l’intérieur de mon appartement. L’odeur me frappe. Ce n’est plus l’odeur de ma lessive, ni de mes bougies. Ça sent le tabac froid, l’humidité et quelque chose de rance, comme de la nourriture avariée. Le salon est un champ de bataille. Des cartons partout, des vêtements jetés au sol. Mon beau parquet est rayé, tâché. Mais le pire, c’est le mur. Mon mur blanc immaculé du salon. Elle a écrit dessus, au marqueur rouge, des listes, des numéros, des plans. On dirait le repaire d’un psychopathe.

— Maman ? Une petite voix. Je me fige. Au fond du couloir, une petite fille en pyjama, les cheveux emmêlés, tient un ours en peluche. Elle me regarde avec des yeux terrifiés. Elodie profite de mon moment d’hésitation. Elle me donne un grand coup de pied dans le tibia, puis un autre dans le ventre. Je plie en deux, le souffle coupé. Elle claque la porte de toutes ses forces. Le bruit résonne comme un coup de feu. Le verrou tourne. Une fois. Deux fois.

Je m’effondre sur le paillasson. Seule. Blessée. J’entends la petite fille pleurer derrière la porte. — Chut, c’est rien ma chérie, c’est la méchante dame qui veut nous faire du mal. On est chez nous ici.

Je reste là, recroquevillée sur le sol froid du palier, les larmes se mélangeant à la morve et à la pluie sur mon visage. J’ai vu l’intérieur. Ce n’est pas juste un squat. Ce n’est pas juste une mère en difficulté. Ce que j’ai vu sur le mur… ces listes… il y avait des noms, des sommes d’argent, des adresses. “Appartement 12 : OK.” “Appartement 4B : En cours.”

Ce n’est pas une malchanceuse. C’est une entreprise. Elle gère un réseau. Et cette petite fille… elle avait l’air si maigre. Si pâle.

Je me relève péniblement. La douleur physique n’est rien comparée à la froide détermination qui vient de naître en moi. La loi ne m’aidera pas. L’avocate m’a dit d’attendre. Le juge m’a dit de me taire. Mais je sais maintenant à qui j’ai affaire.

En redescendant l’escalier, je croise mon reflet dans la vitre du hall. Je ne vois plus l’infirmière fatiguée. Je vois quelqu’un de dangereux. Je sors mon téléphone. Je ne vais pas appeler la police. Je vais appeler la seule personne que je connais qui n’a aucun respect pour la loi, mais qui a un sens très précis de la justice. Mon cousin Malik, celui à qui je ne parle plus depuis qu’il est sorti de prison.

Elodie a voulu jouer ? On va jouer. Mais on ne va plus jouer selon les règles du Code Civil.

PARTIE 3 : La Loi du Talion

Je n’ai jamais été une délinquante. Je paie mes impôts, je traverse au passage piéton, je dis bonjour à la boulangère. Mais quand on vous dépouille de votre dignité, couche par couche, quelque chose de sauvage se réveille en vous. Le vernis de la civilisation craque.

J’ai retrouvé Malik dans un bar-tabac enfumé de Barbès. Ça faisait cinq ans qu’on ne s’était pas vus. Il a pris des épaules, et son regard s’est durci. Il a fait de la prison pour des histoires de braquage. À l’époque, je lui faisais la morale. Aujourd’hui, c’est moi qui viens le supplier.

Je lui ai tout raconté. L’appartement, Elodie, la justice impuissante, mes nuits dans la voiture, et ce que j’avais vu la veille : le mur couvert de noms, le réseau, la petite fille. Malik m’a écoutée sans m’interrompre, en touillant son café noir. Quand j’ai fini, il a écrasé sa cigarette avec une lenteur calculée.

— Donc, résumons, dit-il de sa voix grave. La police ne bouge pas. Le juge s’en fout. Et toi, tu es dehors pendant qu’elle fait du business chez toi. — C’est ça. Je ne veux pas de viol*nce, Malik. Je veux juste récupérer ma vie. Il a souri, un sourire triste. — Camille, la violence, c’est ce qu’elle te fait subir. Toi, tu te défends. Tu sais pourquoi les squatteurs gagnent en France ? Parce qu’ils savent que les gens comme toi ont peur de perdre le peu qu’il leur reste. Ils misent sur ta peur. On va inverser les rôles. La peur doit changer de camp.

La Guerre des Nerfs

Le plan de Malik n’était pas d’entrer en force tout de suite. C’était de l’étouffer. De lui faire vivre l’enfer qu’elle me faisait vivre, mais puissance mille. — Elle se croit intouchable derrière sa porte blindée, m’a dit Malik. On va voir combien de temps elle tient quand l’extérieur devient hostile.

Nous avons commencé le siège un mardi soir. Malik a fait venir deux de ses “collègues”. Des gars massifs, silencieux, qui n’avaient pas besoin de parler pour être intimidants. Ils se sont relayés devant la porte de mon appartement, assis sur des chaises de camping, 24h/24. Ils ne faisaient rien d’illégal. Ils étaient juste là. Ils fumaient, ils parlaient fort, ils écoutaient de la musique.

Dès qu’Elodie entrouvrait la porte, ils la fixaient. Juste ça. Un regard pesant, insistant. Le premier jour, elle a appelé la police. Les agents sont venus. — Messieurs, vous ne pouvez pas rester là, c’est une partie commune. Malik a sorti un document que j’avais signé. — On est invités par la propriétaire, Madame Camille ici présente. On attend qu’elle nous ouvre. On a le droit d’attendre, non ? Les policiers, fatigués de ce dossier, ont haussé les épaules et sont repartis. Elodie a hurlé derrière sa porte. C’était la première fissure.

Le deuxième jour, nous avons coupé Internet. Pas numériquement, physiquement. Malik a trouvé le boîtier de raccordement dans la cave et a arraché le câble coaxial qui montait au troisième. Plus de Netflix. Plus de posts Instagram. Plus de business en ligne. J’entendais ses cris de rage depuis l’escalier. Pour une “influenceuse” autoproclamée, être coupée du monde virtuel, c’est comme couper l’oxygène.

Le troisième jour, la température a chuté à -2°C à Paris. Je savais que la chaudière était capricieuse. Il fallait remettre de l’eau régulièrement, sinon elle se mettait en sécurité. Elodie ne savait pas faire ça. Vers 22h, j’ai vu de la buée se former sur les vitres de l’immeuble, sauf sur les miennes. Elle n’avait plus de chauffage.

J’étais assise dans la voiture de Malik, en bas de l’immeuble, le cœur serré. Je pensais à la petite fille. — Malik, la gamine… Elle doit avoir froid. — C’est sa mère la responsable, Camille. Pas toi. Si elle tient à sa fille, elle part. Ou elle ouvre.

Le Point de Rupture

Le quatrième jour, un vendredi soir, tout a basculé. J’étais en faction dans le couloir avec Malik. Ça sentait le renfermé et l’angoisse. Soudain, on a entendu un bruit sourd à l’intérieur. Comme un meuble qui tombe. Puis des pleurs. Des pleurs d’enfant, hystériques, terrifiés. — MAMAN ! ARRÊTE ! NON !

Mon sang d’infirmière n’a fait qu’un tour. Ce n’étaient pas des pleurs de caprice. C’étaient des pleurs de détresse. Puis, un cri d’adulte. Elodie. — TA GUEULE ! TU VAS TE TAIRE OUI ? TU VEUX QUE JE TE FASSE TAIRE ?

Un bruit de verre brisé. J’ai regardé Malik. Il n’avait plus son air détaché. Il était tendu comme un arc. — Là, on y va, a-t-il dit. — On n’a pas le droit… — On s’en bat les c*uilles du droit, Camille ! Il y a un gosse en danger. C’est l’article de non-assistance à personne en danger. Ça couvre tout. On fonce.

Il a sorti un pied-de-biche de son sac de sport. Un outil lourd, froid, illégal. Il l’a calé entre le bâti et la porte, au niveau de la serrure qu’elle avait changée. — Recule.

CRAAAAAACK. Le bruit du bois qui éclate a résonné comme un coup de tonnerre dans la cage d’escalier. Le bois vieux de cent ans a cédé. La serrure a sauté. La porte s’est ouverte à la volée, tapant contre le mur intérieur.

La Découverte de l’Horreur

Nous sommes entrés. Le choc a été physique. L’odeur m’a pris à la gorge instantanément. Une puanteur mélangeant l’urine de chat (alors qu’elle n’avait pas de chat), la cigarette froide, l’alcool et la moisissure. L’appartement était dans la pénombre, éclairé seulement par les lampadaires de la rue.

— QUI EST LÀ ? SI VOUS AVANCEZ, JE VOUS PLANTE ! Elodie a surgi du salon. Elle était méconnaissable. Les cheveux gras, le visage bouffi, les yeux exorbités. Elle tenait un grand couteau de cuisine — mon couteau de cuisine — brandi devant elle. Elle tremblait de tout son corps.

Malik s’est interposé devant moi, calme, les mains levées. — Baisse ça tout de suite. C’est fini. — Dégagez ! C’est chez moi ! Vous n’avez pas le droit ! Je connais mes droits !

Pendant que Malik focalisait son attention, j’ai regardé autour d’elle. Le salon… Mon Dieu, le salon. Le parquet était jonché de détritus. Des cartons de pizza, des bouteilles vides, des vêtements sales. Le canapé était éventré. Mais le plus effrayant, c’était le matériel informatique. Il y avait trois ordinateurs portables ouverts sur la table basse, connectés à des routeurs 4G. Des imprimantes crachaient des documents. Sur le mur, ce que j’avais entrevu l’autre jour s’étalait en pleine lumière : un organigramme complexe. Des photos d’appartements, des copies de passeports, des fausses fiches de paie. C’était une usine à faux dossiers. Elle ne squattait pas juste pour vivre. Elle utilisait mon adresse comme boîte postale et base arrière pour monter des arnaques au logement à grande échelle. Elle fabriquait de faux locataires pour d’autres appartements.

Puis, j’ai vu la petite. Léa. Elle était recroquevillée sous la table de la salle à manger, serrant son ours en peluche. Elle portait un t-shirt trop grand pour elle et pas de pantalon, juste une culotte sale. Elle avait des bleus sur les jambes. Des traces brunâtres sur les bras. Et elle était d’une maigreur effrayante. Elle ne pleurait plus. Elle nous regardait avec des yeux vides, des yeux de vieux soldat qui a trop vu la guerre.

Une rage volcanique a explosé en moi. J’ai oublié la peur. J’ai oublié le couteau. J’ai oublié la loi. Je me suis avancée vers Elodie. — Tu as transformé ma maison en poubelle… mais ça, je m’en fous, ai-je sifflé. Mais la gamine… Regarde-la !

Elodie a fait un moulinet avec le couteau. — N’approche pas ! Elle va bien ! C’est ma fille, je fais ce que je veux ! — Elle est malnutrie ! Elle est terrifiée ! Tu es une mère indigne !

Malik a profité de sa distraction. En une fraction de seconde, il a bondi. Il lui a saisi le poignet, l’a tordu. Le couteau est tombé avec un bruit métallique. Il l’a plaquée contre le mur, visage contre le papier peint qu’elle avait déchiré. — Bouge plus ou je te brise le bras, lui a-t-il murmuré à l’oreille. Elle s’est mise à hurler, des insultes, des menaces. — Je vais porter plainte ! Agression ! Violences volontaires ! Vous allez finir en prison !

Je me suis précipitée sous la table pour attraper Léa. Elle s’est raidie quand je l’ai touchée, s’attendant à un coup. — C’est fini, ma puce. C’est fini, je suis infirmière, je vais m’occuper de toi. Sa peau était brûlante. Elle avait de la fièvre. En la soulevant, j’ai vu quelque chose qui m’a glacé le sang. Sur le sol, sous la table, il y avait des plaquettes de médicaments vides. Des somnifères puissants. Et des antidépresseurs. Elle droguait la gamine pour qu’elle reste calme pendant qu’elle gérait ses arnaques.

J’ai relevé la tête vers Elodie, toujours maintenue par Malik. — Tu lui donnes ça ? Tu donnes du Zolpidem à une enfant de 6 ans ? Elodie a craché par terre, un filet de bave au coin des lèvres. — Elle m’empêchait de travailler ! Elle chouine tout le temps ! J’avais besoin de calme pour mes appels !

J’ai senti mes mains trembler, pas de peur, mais de l’envie pure de la tuer. Si Malik n’avait pas été là, je crois que je l’aurais frappée à m*rt. J’ai serré Léa contre moi, protégeant sa tête dans mon cou.

— Malik, ai-je dit, la voix blanche. Appelle la police. — Tu es sûre ? Ça va se retourner contre nous pour l’effraction. — Non. Ça change tout. Ce n’est plus du civil. C’est du pénal. Séquestration, maltraitance sur mineur, usage de stupéfiants sur enfant, escroquerie en bande organisée. Appelle-les. Maintenant.

L’Arrivée des Secours

Les dix minutes suivantes ont été les plus longues de ma vie. Elodie continuait de hurler qu’elle était chez elle, qu’elle allait nous détruire. Malik la tenait fermement, impassible. Moi, je berçais Léa qui avait commencé à convulser légèrement à cause de la fièvre. J’ai pris mon manteau pour l’envelopper. J’ai cherché de l’eau dans la cuisine. L’évier débordait de vaisselle moisie. Il n’y avait rien de propre. J’ai dû boire dans le creux de ma main pour lui donner quelques gouttes.

Les sirènes ont retenti dans la rue. Pas une seule voiture. Plusieurs. Des pas lourds dans l’escalier. — POLICE ! OUVREZ !

Les policiers sont entrés, armes au poing, s’attendant à un règlement de comptes. Ils ont vu Malik, un homme typé banlieue, tenant une femme blanche contre un mur. Le scénario classique du préjugé. — LÂCHEZ-LA ! MAINS EN L’AIR ! Malik a lâché Elodie doucement et a levé les mains. — Calmez-vous, chef. Regardez l’enfant. Regardez la table.

Elodie s’est jetée vers les policiers, jouant son va-tout. — Ils m’ont agressée ! Ils ont défoncé ma porte ! Ils veulent me tuer ! Regardez, il m’a tordu le bras !

Le policier chef s’est tourné vers moi. J’étais à genoux au milieu des ordures, serrant une enfant semi-inconsciente. Je l’ai regardé droit dans les yeux. — Je suis Camille D., propriétaire de cet appartement et infirmière diplômée d’État. Cette enfant est en surdose médicamenteuse et présente des traces de coups. Sa mère lui donne des somnifères pour adulte. Il faut une ambulance, tout de suite.

Le silence est tombé. Lourd. Pesant. Le policier a regardé Léa. Il a vu la pâleur, la maigreur, les bleus. Il a regardé la table avec les faux papiers. Il a regardé Elodie qui tentait de remettre de l’ordre dans ses vêtements, mais dont le regard fuyant trahissait la panique. L’instinct du flic a pris le dessus sur la procédure administrative. Il a compris que le dossier “litige locatif” venait de se transformer en scène de crime.

Il a baissé son arme. — Appel aux pompiers. Priorité absolue. Enfant en détresse. Et envoyez la BAC pour interpellation. Il s’est tourné vers Elodie. — Madame, mettez vos mains dans le dos. — Mais c’est chez moi ! C’est ma fille ! — Plus maintenant. Vous êtes en état d’arrestation pour mise en danger de la vie d’autrui et soupçon de maltraitance. On verra pour le reste plus tard.

Ils lui ont passé les menottes. Le bruit sec du métal qui se referme a été le plus doux son que j’aie jamais entendu. Alors qu’ils l’emmenaient, elle s’est débattue, crachant des insultes, me promettant l’enfer. Je n’ai pas bougé. Je caressais les cheveux de la petite fille.

Malik s’est approché de moi alors que les pompiers entraient avec un brancard. — Tu sais que tu vas avoir des problèmes pour la porte et l’effraction ? me dit-il doucement. Je regarde autour de moi. Mon appartement est détruit. Les murs sont souillés, mes meubles sont cassés, mon intimité a été violée. Je suis ruinée. Je vais devoir payer des milliers d’euros de travaux. Je vais sans doute devoir répondre devant la justice pour avoir forcé l’entrée.

Mais je regarde Léa, que les pompiers placent sous oxygène. Elle ouvre un œil, me cherche du regard, et sa petite main agrippe ma manche. — Merci, murmure-t-elle, à peine audible.

Je serre sa main. — Je m’en fous des problèmes, Malik. J’ai sauvé une vie ce soir. Le reste, c’est juste de l’argent.

Les pompiers emmènent l’enfant. La police embarque les ordinateurs et les faux papiers comme preuves. L’appartement se vide peu à peu, ne laissant que le silence et l’odeur de la tragédie. Je suis debout au milieu des ruines de mon rêve parisien. Il n’y a plus de porte. Il fait froid. La neige commence à tomber par la fenêtre ouverte.

Mais pour la première fois depuis dix mois, je respire.

Cependant, alors que je pensais que le cauchemar était fini, un des policiers revient vers moi avec un air grave. Il tient le téléphone d’Elodie, qui n’arrête pas de sonner. — Madame ? On a un problème. — Quoi encore ? Elle est arrêtée, non ? — Oui. Mais on vient de regarder ses derniers messages reçus. Il semblerait qu’elle ne travaillait pas seule. Et ses “associés” sont en route. Ils viennent récupérer “la marchandise” et l’argent. Ils seront là dans dix minutes.

Je regarde Malik. Il blêmit. Nous sommes dans un appartement sans porte, au milieu de la nuit, et le véritable gang arrive.

PARTIE 4 : Les Cendres du Rêve

L’Ultime Confrontation

Le policier range son téléphone, le visage fermé. Il fait un signe rapide à ses collègues. — On a deux véhicules suspects signalés en approche rapide, boulevard Voltaire. Une berline noire et une fourgonnette. Ils arrivent pour vider les lieux avant qu’on ne puisse saisir le matériel. Tout le monde en position ! Vous deux, dit-il en nous pointant, Malik et moi, reculez dans la cuisine et ne bougez pas.

Je suis tétanisée. Mon appartement, qui n’a plus de porte, est ouvert aux quatre vents. La neige commence à entrer dans le couloir, se mêlant à la crasse du sol. Nous sommes pris au piège dans une souricière.

— Ils sont armés ? demande Malik, étonnamment calme. — Ce genre de réseau ? C’est probable. Ils ne viennent pas pour prendre le thé.

Les minutes qui suivent s’étirent comme des heures. Les policiers de la BAC se positionnent dans l’escalier, éteignent les lumières du palier. Silence total. On entend seulement le bourdonnement lointain de la ville et ma respiration saccadée. Puis, des crissements de pneus en bas. Des portières qui claquent. Des voix graves résonnent dans la cage d’escalier. Ils montent vite, lourdement. — Grouille-toi, on prend les ordis et le coffre, on laisse le reste.

Ils arrivent au troisième. Ils voient la porte défoncée. Un temps d’arrêt. — C’est quoi ce bordel ? La porte est…

— POLICE ! BOUGEZ PLUS ! Le hurlement des agents de la BAC déchire la nuit. S’ensuit un chaos indescriptible. Des cris, des bruits de lutte, des corps qui percutent les murs. — Lâche ça ! À terre ! Taser, taser ! Le claquement sec des pistolets à impulsion électrique. Le bruit sourd d’un homme qui s’effondre.

Je me bouche les oreilles, accroupie sous l’évier de ma propre cuisine, priant pour que ça s’arrête. Malik pose une main rassurante sur mon épaule. — C’est fini, Camille. Ils les ont eus.

Quand le calme revient, je sors, tremblante. Trois hommes sont menottés au sol dans le couloir. Ils nous regardent avec haine. Le policier chef revient vers moi, essoufflé mais satisfait. — Belle prise. On cherchait cette équipe depuis des mois. Ils opèrent sur toute l’Île-de-France. Faux baux, squat organisé, blanchiment. Votre “Elodie”, ou quel que soit son vrai nom, n’était que la partie émergée de l’iceberg.

Il me regarde avec un mélange de sévérité et de compassion. — Par contre, madame, vous allez devoir nous suivre au poste. Vous, et votre ami. L’effraction, c’est illégal, même chez soi. On va devoir démêler tout ça.

Le Purgatoire Juridique

Les 48 heures suivantes sont un flou artistique de néons blafards, de cafés lyophilisés et de questions répétitives. Garde à vue. Moi, Camille, infirmière sans casier, je me retrouve en cellule de dégrisement. L’ironie est mordante : j’ai dormi dans ma voiture pendant deux mois pour respecter la loi, et c’est quand je la brise pour sauver une enfant que je finis derrière les barreaux.

Mais mon avocate, Maître Dumont, est arrivée telle une furie le lendemain matin. Elle a plaidé l’état de nécessité. — Ma cliente n’a pas forcé la porte pour récupérer son bien, Monsieur le Procureur. Elle a forcé la porte parce qu’elle a entendu un enfant en danger de mort imminent. L’article 122-7 du Code Pénal est formel : n’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne.

Les rapports médicaux de l’hôpital Necker concernant la petite Léa ont confirmé nos dires : malnutrition sévère, traces de coups, et présence massive de benzodiazépines dans le sang. J’avais sauvé sa vie. Face à cela, le Procureur a abandonné les poursuites pour violation de domicile et dégradations. J’étais libre. Mais libre pour aller où ?

Le Retour dans les Ruines

Trois jours plus tard, les scellés ont été levés. Je pouvais rentrer chez moi. Je suis arrivée avec des sacs poubelles, des gants de ménage et de l’eau de Javel. La porte avait été remplacée provisoirement par une planche de contreplaqué vissée par la police. J’ai poussé la planche. Je suis entrée.

Il faisait jour, cette fois. La lumière crue du soleil d’hiver révélait l’étendue du désastre que la pénombre avait caché. Ce n’était pas seulement sale. C’était souillé. Les murs portaient les stigmates de leur occupation : traces de mains grasses, graffitis, trous. Mon parquet en chêne, celui que j’avais poncé moi-même, était brûlé par endroits, taché de vin et d’urine. J’ai marché jusqu’à ma chambre. Mon lit. Ils avaient dormi dans mon lit. J’ai vu des taches suspectes sur le matelas. Une odeur écœurante s’en dégageait. J’ai pris le matelas à bras-le-corps, seule, avec une force que je ne me soupçonnais pas, et je l’ai traîné jusqu’au palier. Je ne voulais plus jamais dormir dessus.

J’ai commencé à nettoyer. C’était une tâche herculéenne. J’ai rempli dix sacs de 100 litres rien qu’avec les détritus du salon. J’ai trouvé des choses qui m’ont brisé le cœur. Des photos de moi et de mes parents, déchirées, piétinées. Mes livres préférés, utilisés comme cales pour leurs meubles bancals. Mon diplôme d’infirmière, gribouillé au feutre noir.

Vers midi, on a frappé à la porte (ou plutôt à la planche). C’était Monsieur Lambert, le concierge. Il tenait une petite boîte de chocolats, l’air piteux. — Camille… Je… Je voulais m’excuser. Je ne savais pas. Elle avait l’air si gentille. Je me sens terrible. Je l’ai regardé, mes gants jaunes dégoulinants d’eau noire. — Vous saviez que je dormais dans ma voiture, Monsieur Lambert ? Vous m’avez vue maigrir, vous m’avez vue pleurer. Et vous avez choisi de croire la femme qui vous souriait plutôt que celle que vous connaissez depuis dix ans. — Je ne voulais pas d’ennuis… — C’est ça le problème, ai-je répondu calmement. Personne ne veut d’ennuis. C’est pour ça que les gens comme elle gagnent. Gardez vos chocolats.

J’ai refermé la planche. Je n’avais plus de place pour la rancœur, mais je n’avais plus de place pour l’hypocrisie non plus.

La Décision

J’ai passé une semaine à tout récurer. J’ai repeint les murs en blanc. J’ai fait poncer le parquet. J’ai racheté un lit. L’appartement était redevenu propre. Il sentait la peinture fraîche et la lavande. Il était beau. Il était, techniquement, comme avant.

Un soir, je me suis assise au milieu du salon vide, sur le sol verni. J’ai regardé autour de moi. C’était mon appartement. C’était mon rêve. Je m’étais battue comme une lionne pour lui. Et pourtant, je ne ressentais rien. Aucune joie. Aucun soulagement. Juste un grand vide froid.

Chaque coin de pièce me rappelait une image de l’horreur. Ici, Elodie avec son couteau. Là, la petite Léa sous la table. Ici, les ordinateurs du gang. Les fantômes étaient là. Ils étaient incrustés dans les murs. Je ne me sentais plus chez moi. Je me sentais comme une étrangère dans un lieu maudit.

J’ai réalisé quelque chose de fondamental ce soir-là. Un logement, ce n’est pas juste des murs et un titre de propriété. C’est un sentiment de sécurité. Et cette sécurité, on me l’avait volée à jamais ici. Je sursauterais au moindre bruit dans l’escalier. Je vérifierais trois fois le verrou chaque soir. Je ne dormirais plus jamais tranquille ici.

J’ai pris mon téléphone. J’ai appelé une agence immobilière. — Bonjour, je voudrais mettre un bien en vente. Oui, tout de suite. Oui, je suis pressée.

L’Épilogue : Une Lettre et un Nouveau Départ

Trois mois ont passé. L’appartement s’est vendu en une semaine. Le marché parisien est impitoyable, il se moque des histoires de squat. Pour les acheteurs, c’était juste un “superbe T3 haussmannien rénové”. J’ai signé l’acte de vente avec un soulagement qui m’a fait pleurer. J’ai remboursé mon crédit, payé mon avocate (qui m’a fait une fleur sur les honoraires, touchée par l’histoire), et il me restait une somme confortable.

Mais avant de tourner la page, j’avais besoin de savoir. J’avais gardé contact avec une assistante sociale qui s’occupait du dossier de Léa. Elle n’avait pas le droit de me donner des détails, secret professionnel oblige, mais elle a accepté de me transmettre une lettre. Ou plutôt, un dessin.

C’était une enveloppe kraft. À l’intérieur, une feuille de papier Canson. Un dessin d’enfant, maladroit, aux crayons de couleur. On y voyait une grande maison avec un soleil qui sourit. Et deux bonhommes. Une petite fille, et une dame en blanc avec une croix rouge (moi). Au dos, écrit avec l’aide d’un adulte : “Merci Camille. Je mange bien maintenant. Je n’ai plus peur. Mamie est gentille. Léa.”

Elle avait été confiée à sa grand-mère maternelle, qui ignorait tout de la situation car Elodie avait coupé les ponts. Elodie, elle, attendait son procès en prison. Elle risquait dix ans ferme. J’ai serré le dessin contre mon cœur. C’était ma vraie victoire. Pas l’appartement. Pas l’argent. Ça. Cette petite fille avait une chance de grandir. Et c’était grâce à mon entêtement. Grâce à cette porte que j’avais défoncée.

Le Nouveau Chapitre

Aujourd’hui, je ne vis plus à Paris. La ville m’a épuisée. Son bruit, son indifférence, sa violence feutrée… je ne pouvais plus. J’ai utilisé l’argent de la vente pour acheter une petite maison en Normandie, à 15 minutes de la mer. Une vraie maison, avec un jardin, pas d’étage, et surtout, pas de copropriété.

J’ai gardé mon métier d’infirmière, mais je travaille dans un petit cabinet de campagne. Je prends le temps de parler aux patients. Je connais mes voisins, les vrais, ceux qui vous apportent des œufs frais et qui surveillent votre maison quand vous n’êtes pas là, pas ceux qui vous dénoncent à la police par lâcheté.

Parfois, quand la pluie bat contre les carreaux, je repense à cette nuit de novembre, assise dans ma Twingo glacée. Je repense à la haine qui m’avait envahie. J’ai failli devenir comme eux. J’ai failli laisser la violence me consumer. Mais je m’en suis sortie. J’ai perdu mon “rêve parisien”, c’est vrai. J’ai perdu beaucoup d’illusions sur la justice et la société. Mais j’ai gagné quelque chose de plus précieux : la certitude que je suis capable de survivre à tout. Et quelque part, une petite fille grandit en sécurité parce que j’ai osé dire non.

Mon histoire s’arrête ici. Je ne suis plus la victime de l’appartement 3B. Je suis Camille. Je suis vivante. Et pour la première fois depuis longtemps, je suis libre.

Si vous lisez ceci, et que vous traversez une injustice qui semble insurmontable, n’abandonnez jamais. La loi est parfois aveugle, lente et cruelle. Mais votre volonté est la seule arme qu’ils ne pourront jamais vous prendre.

Fin.

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