Une enfant de 6 ans sauve un milliardaire paralysé à Saint-Tropez : « Ce médicament te tue ! »

Partie 1

Le soleil de la Côte d’Azur inondait les sols en marbre de la Villa Delacroix, l’une des propriétés les plus exclusives de Saint-Tropez. Mais au troisième étage, dans la chambre principale, les rideaux étaient tirés. L’obscurité et une odeur entêtante d’antiseptique régnaient en maîtres.

Maxime Delacroix, 33 ans, héritier de l’empire maritime français du même nom, était assis, immobile, dans son fauteuil roulant électrique. Son regard, autrefois vif et charismatique, était vide, fixé sur un point invisible du mur. Dix-huit mois. Cela faisait dix-huit mois que sa Ferrari avait quitté la route sur la corniche, lui brisant la colonne vertébrale et lui volant sa vie.

« C’est l’heure de votre traitement, Monsieur Delacroix », annonça Marc, son infirmier privé, en entrant dans la pièce avec un plateau en argent.

Maxime ne répondit pas. À quoi bon ? Sa vie était devenue une boucle sans fin de douleurs fantômes, de rapports financiers qu’il ne lisait plus et de la pitié insupportable de son entourage. L’entreprise familiale était désormais gérée par son oncle Philippe, un homme froid et calculateur qui venait le voir une fois par semaine pour lui faire signer des papiers.

Marc disposa méthodiquement les pilules sur la table de chevet : deux bleues, trois blanches, et cette grosse gélule verte que le Dr Garnier, le neurologue le plus réputé de Paris, avait ajoutée à son régime il y a six mois pour “stimuler la régénération nerveuse”.

Pendant ce temps, trois étages plus bas, dans l’immense cuisine immaculée, Élise serrait fort la main de sa fille.

« Maman, c’est un château ? » chuchota Léa, 6 ans, ses grands yeux noisette écarquillés devant le luxe démesuré.

« Chut, ma chérie », répondit Élise en ajustant nerveusement son tablier. « C’est une très grande maison. Et nous devons être très sages. C’est une chance inespérée pour nous. »

Élise avait fui une situation difficile en banlieue parisienne. Ce poste de gouvernante à Saint-Tropez était un miracle : logée, nourrie, et un salaire qui lui permettrait enfin d’offrir un avenir à Léa. Mais Léa n’était pas une enfant comme les autres. Elle était… hypersensible. Elle “ressentait” les gens et les lieux d’une manière qui effrayait parfois sa mère.

« Le maître de maison est très malade », expliqua la gouvernante en chef, une femme sévère nommée Mme Bertrand. « Il ne faut jamais monter au troisième étage, sauf pour le ménage supervisé. Et surtout, l’enfant ne doit jamais, au grand jamais, le déranger. Est-ce clair ? »

« Très clair, Madame », promit Élise.

Mais les enfants, surtout ceux comme Léa, sont attirés par les secrets comme des papillons par la lumière.

Une semaine plus tard, alors qu’Élise astiquait l’argenterie au rez-de-chaussée, Léa s’échappa silencieusement. Elle monta le grand escalier de marbre, guidée par une sensation étrange, une sorte de “bruit” silencieux qui l’appelait vers le haut.

Elle trouva la porte de la chambre entrouverte.

À l’intérieur, Marc, l’infirmier, était au téléphone, le dos tourné, préparant le cocktail de médicaments habituel. Maxime était dans son fauteuil, la tête basse.

Léa entra. Ses petits pieds dans ses baskets usées ne firent aucun bruit sur l’épais tapis persan. Elle s’approcha de Maxime.

En le voyant de près, elle fut frappée par une vague d’émotion brute. Elle ne voyait pas juste un homme handicapé. Elle ressentait une tristesse noire, profonde comme l’océan, mais aussi autre chose… Une alerte. Un danger rouge et vibrant qui émanait du plateau argenté.

Maxime sentit une présence. Il tourna lentement la tête et sursauta. Une petite fille aux cheveux bruns en bataille le fixait avec une intensité déconcertante.

« Qui es-tu ? » demanda-t-il, sa voix rauque par manque d’usage.

Marc se retourna brusquement, lâchant presque le flacon. « Hé ! Qu’est-ce que tu fais là ? Sors immédiatement ! »

Mais Léa ignora l’infirmier. Elle s’avança encore, jusqu’à toucher presque le genou inerte de Maxime. Elle leva un petit doigt et pointa la gélule verte sur le plateau.

« Ne prends pas celle-là », dit-elle. Sa voix était douce, mais tranchante de certitude.

Maxime fronça les sourcils. « Pourquoi ? »

« Parce qu’elle éteint ta lumière », répondit Léa simplement. « Elle te rend gris à l’intérieur. Si tu la prends, tes jambes ne se réveilleront jamais. »

Un silence de mort tomba sur la pièce.

« C’est ridicule », aboya Marc en s’avançant pour attraper l’enfant par le bras. « C’est un traitement médical prescrit par des spécialistes. Allez, dehors ! »

Au moment où la main de l’infirmier allait saisir l’épaule de la petite, une voix claqua.

« Laisse-la ! »

C’était Maxime. L’autorité dans sa voix surprit tout le monde, y compris lui-même. Il fixa la gélule verte, puis l’enfant.

À ce moment précis, Élise apparut à la porte, le visage blême de terreur. « Oh mon Dieu ! Monsieur Delacroix, je suis tellement désolée ! Léa, viens ici tout de suite ! Je vous en supplie, ne nous renvoyez pas, je… »

« Attendez », coupa Maxime. Il ne regardait pas la mère, mais la fille.

Depuis six mois qu’il prenait ce nouveau “traitement miracle”, il se sentait plus faible, plus confus. Son oncle Philippe lui répétait que c’était normal, que la guérison était longue. Mais cette enfant…

« Comment sais-tu ça ? » demanda Maxime à Léa, ignorant les protestations de l’infirmier et les excuses de la mère.

Léa haussa les épaules, comme si c’était une évidence. « Le monsieur qui te donne ça… » Elle pointa Marc du menton sans le regarder. « Son cœur bat trop vite. Il a peur. Et la pilule verte… elle a le goût du mensonge. »

Maxime sentit un frisson glacé parcourir son échine. Il regarda Marc. L’infirmier était pâle, une fine pellicule de sueur sur le front.

« Marc », dit Maxime doucement, mais avec une menace sous-jacente terrible. « Pourquoi as-tu peur ? »

« Je… Je n’ai pas peur, Monsieur. C’est cette enfant qui dit n’importe quoi. C’est absurde ! » balbutia Marc, mais ses mains tremblaient légèrement.

Maxime prit une décision qui allait changer le cours de sa vie. Il prit la gélule verte entre ses doigts, la regarda longuement, puis la jeta à travers la pièce.

« Je ne la prendrai pas aujourd’hui », déclara-t-il. « Ni demain. En fait, je veux que ce médicament soit envoyé à un laboratoire indépendant à Lyon. Immédiatement. »

« Monsieur, le protocole… Dr Garnier va… »

« Je me fiche du Dr Garnier ! » rugit Maxime, retrouvant soudain l’énergie du PDG qu’il avait été. « Fais ce que je dis, ou tu es viré sur-le-champ. »

Il se tourna vers Élise, qui tremblait contre le cadre de la porte.

« Vous ne partez pas », dit-il. « Au contraire. Je veux que votre fille reste près de moi. »

Ce soir-là, pour la première fois en six mois, la brume dans l’esprit de Maxime commença à se lever. Mais il ne se doutait pas encore que la petite Léa venait de déclarer la guerre à des forces bien plus sombres et puissantes qu’une simple erreur médicale…

Partie 2

La nuit tomba sur la Villa Delacroix, mais pour Maxime, ce fut la première nuit d’un éveil brutal. Il n’avait pas dormi, son esprit tournant à mille à l’heure, libéré de la brume chimique qui l’avait étouffé pendant des mois. La petite gélule verte gisait toujours dans un coin de la chambre, ignorée par le personnel de nettoyage sur ordre strict de Maxime, jusqu’à ce qu’un coursier spécialisé vienne la récupérer à l’aube.

Le lendemain matin, l’atmosphère dans la maison avait changé. C’était subtil, comme l’électricité statique avant un orage. Marc, l’infirmier, évitait le regard de Maxime, ses gestes étaient saccadés, nerveux. Il avait essayé de contacter le Dr Garnier à plusieurs reprises, chuchotant frénétiquement dans le couloir, mais Maxime avait fait confisquer son téléphone professionnel par la sécurité.

Vers 11 heures, les résultats du laboratoire indépendant de Lyon arrivèrent par courriel crypté. Maxime fit venir son médecin de famille d’avant l’accident, le vieux Dr Maury, un homme bourru mais intègre qui avait été écarté par l’oncle Philippe au profit du “spécialiste” Garnier.

Le Dr Maury lut le rapport sur l’écran de la tablette de Maxime. Ses sourcils blancs se froncèrent, puis se rejoignirent dans une expression de pure fureur. Il ôta ses lunettes et regarda Maxime avec une gravité terrifiante.

— C’est criminel, lâcha-t-il. Ce n’est pas un régénérateur neuronal, Maxime. C’est un dérivé de curare synthétique combiné à un sédatif puissant. À haute dose, ça tue. À la dose qu’on te donnait… ça paralyse les terminaisons nerveuses et maintient le patient dans un état de docilité cognitive.

Maxime sentit une bile amère monter dans sa gorge. — Ils m’ont empoisonné. Ils m’ont gardé dans ce fauteuil.

— Oui, confirma Maury. Et si cette petite fille n’avait pas parlé… tes reins auraient lâché d’ici six mois.

La rage qui envahit Maxime n’était pas chaude et explosive ; elle était froide, calculatrice, celle d’un requin sentant le sang. Il avait bâti l’empire Delacroix Shipping en étant impitoyable en affaires. Il avait oublié cet aspect de lui-même, anesthésié par la drogue. Il était temps de le réveiller.

— Je veux que tu prennes en charge mon dossier médical, officiellement, dit Maxime. Et je veux que tu gardes le silence absolu sur ma reprise de conscience. Pour le monde extérieur, je suis toujours le légume qu’ils ont créé.

— Tu joues un jeu dangereux, mon garçon.

— Ils ont commencé la partie, répliqua Maxime. Je vais la finir.

Dans l’après-midi, Maxime fit appeler Élise et Léa. Elles entrèrent dans la chambre timidement. Élise avait visiblement pleuré, terrifiée à l’idée de perdre cet emploi vital. Léa, en revanche, entra avec une curiosité tranquille, tenant fermement la main de sa mère.

— Approche, Léa, dit doucement Maxime.

La petite fille s’avança. Maxime la détailla. Elle était petite pour ses six ans, vêtue d’une robe en coton simple mais propre. Ses yeux noisette semblaient contenir une sagesse ancienne, trop lourde pour ses épaules frêles.

— Le Dr Maury a confirmé ce que tu as dit, annonça Maxime. La pilule verte était du poison.

Léa hocha la tête, sans surprise. — Elle avait une couleur méchante. Comme les ecchymoses.

— Comment fais-tu ? demanda Maxime, fasciné. Est-ce que tu… vois des choses ?

— Je ressens, corrigea-t-elle. Les gens ont une musique. Maman a une musique douce, comme une berceuse, mais parfois elle est triste. Toi… avant, ta musique était cassée, comme une radio qui ne capte pas. Maintenant, ça grésille. Ça revient.

— Et Marc ?

Léa fit une grimace de dégoût. — Lui, c’est comme une craie qui crisse sur un tableau noir. Il ment tout le temps. Même quand il dit bonjour.

Maxime échangea un regard avec Élise. — Votre fille a un don extraordinaire, Élise. Ou une intuition hors du commun. Quoi qu’il en soit, elle m’a sauvé la vie. À partir d’aujourd’hui, votre salaire est triplé. Et je veux que Léa reste près de moi quand je reçois des visites.

— Monsieur, c’est… c’est trop, bégaya Élise. C’est dangereux si elle reste là.

— C’est plus dangereux si elle n’est pas là, trancha Maxime. J’ai besoin de savoir qui ment. J’ai besoin de son “oreille” pour la musique des gens.

Trois jours plus tard, l’oncle Philippe arriva pour sa visite hebdomadaire. Philippe Delacroix était un homme imposant, toujours vêtu de costumes italiens sur mesure, sentant le cigare coûteux et l’eau de Cologne boisée. Il entra dans la chambre de Maxime avec l’assurance du propriétaire des lieux.

Léa était assise dans un coin, feignant de colorier un cahier, comme convenu.

— Maxime, mon garçon ! s’exclama Philippe en écrasant la main inerte de son neveu. Marc me dit que tu es agité ces derniers temps. La douleur ?

Maxime, jouant son rôle, garda les yeux mi-clos, la voix pâteuse. — Fatigué… oncle Philippe. Juste fatigué.

— C’est normal, c’est normal. Le corps a besoin de repos. J’ai apporté les papiers pour la fusion avec le groupe logistique de Marseille. Une simple formalité, comme d’habitude. Je guide ta main ?

C’était leur rituel humiliant. Philippe glissait un stylo dans les doigts gourds de Maxime et guidait sa signature, validant des décisions qui détournaient lentement mais sûrement la fortune familiale.

Maxime laissa faire, son cœur battant à tout rompre de haine contenue. Il signa. Philippe sourit, rangea les documents dans sa mallette en cuir de crocodile et tapota la joue de Maxime.

— Tu es un brave soldat. Repose-toi. Je gère tout.

Dès que Philippe eut quitté la pièce, Léa lâcha son crayon de couleur. Il tomba sur le parquet avec un bruit sec. Elle tremblait de tout son corps.

— Léa ? s’inquiéta Maxime, abandonnant instantanément son masque d’apathie.

La petite fille se précipita vers lui et enfouit son visage contre son bras. — C’est le tonnerre, murmura-t-elle, terrifiée.

— Quoi ?

— Ton oncle. Il n’a pas de musique. Il a du tonnerre. Noir et fort. Il veut que tu disparaisses pour toujours. Il pense à une boîte en bois.

— Un cercueil ?

Elle hocha la tête, les larmes aux yeux. — Il est content que tu sois “fini”. Mais il a peur aussi. Il a peur de la dame aux yeux de glace.

— Quelle dame ?

— Je ne sais pas. Une dame qui brille froid. Elle est avec lui dans sa tête. Ils ont fait le mal ensemble.

Maxime caressa maladroitement les cheveux de l’enfant. Une dame. Philippe n’agissait donc pas seul. Il y avait une complice. Peut-être au sein même du conseil d’administration.

Les semaines suivantes furent un mélange de torture et d’espoir. Sous la supervision secrète du Dr Maury, et protégé par une nouvelle équipe de sécurité loyale (des anciens de la Légion étrangère embauchés discrètement), Maxime commença sa rééducation nocturne.

Le jour, il jouait le malade. La nuit, il transpirait, hurlait en silence, forçant des muscles atrophiés à répondre. La douleur était fulgurante, signe que les nerfs se réveillaient.

C’est lors d’une nuit d’orage, un mois après l’arrêt du poison, que cela arriva. Maxime, épuisé, fixait ses pieds. — Bouge, ordonna-t-il. Bouge, bon sang.

Rien. Puis, un tressaillement. Son gros orteil gauche. Une flexion minuscule, presque imperceptible, mais réelle. Maxime éclata en sanglots. Pas de tristesse, mais de triomphe.

Le lendemain, il demanda à voir Élise. Il avait besoin de comprendre qui étaient ces deux anges gardiens tombés du ciel. Autour d’un thé (qu’il buvait désormais sans aide quand les portes étaient verrouillées), Élise raconta son histoire. La fuite d’un mari violent à Paris, la pauvreté, la peur constante que les services sociaux ne lui enlèvent Léa à cause de ses “bizarreries”.

— Ils disaient qu’elle était schizophrène, confia Élise. Qu’elle inventait des choses. Mais elle a toujours eu raison. Elle a prédit la mort de ma mère deux jours avant sa crise cardiaque. Elle savait que mon mari mentait sur ses dettes de jeu. C’est un don, Monsieur Delacroix, mais c’est un fardeau terriblement lourd pour une enfant.

— Elle ne portera plus ce fardeau seule, promit Maxime. Et appelez-moi Maxime. Nous sommes liés maintenant.

L’enquête avançait. Maxime avait engagé un détective privé numérique, un “white hat” nommé Karim, pour fouiller les serveurs de son entreprise. Ce que Karim trouva confirma les pires craintes. Des millions d’euros détournés vers des comptes offshore aux îles Caïmans et à Singapour. Des signatures falsifiées.

Mais le plus choquant arriva sous la forme d’une visiteuse inattendue. Une ingénieure automobile, Mme Chen, qui avait expertisé l’épave de la Ferrari de Maxime dix-huit mois plus tôt. Elle avait réussi à contacter la sécurité de Maxime, affirmant avoir des preuves que la police avait ignorées.

Maxime la reçut dans son bureau privé, assis dans son fauteuil. Léa était là, jouant avec des cubes.

— Monsieur Delacroix, commença Mme Chen, nerveuse. J’ai gardé une copie du rapport original. Celui que la police n’a jamais vu.

Elle posa des photos sur le bureau. — Vos freins n’ont pas lâché à cause de la vitesse ou de l’usure. Regardez ici. La durite a été micro-perforée au laser. C’est un sabotage de haute précision. Ça devait lâcher quand les freins chaufferaient. Dans un virage serré.

Le silence dans la pièce devint lourd. Ce n’était pas un accident. C’était une tentative d’assassinat préméditée.

Léa leva la tête de ses cubes. — La voiture a crié avant de tomber, dit-elle doucement.

Mme Chen sursauta. — Pardon ?

— Léa voit des choses, expliqua brièvement Maxime, le visage fermé.

— La voiture avait mal au ventre, continua l’enfant. Quelqu’un lui a fait mal avant que tu montes dedans. Un homme avec une odeur de citron et de graisse.

Maxime ferma les yeux. Son mécanicien personnel. Un homme de confiance depuis dix ans. Il sentait toujours le dégraissant citronné. Philippe l’avait acheté aussi. Tout son monde n’était que trahison.

— Merci, Madame Chen, dit Maxime. Vous serez protégée. Je vous le promets.

Quand elle fut partie, Maxime regarda son reflet dans la baie vitrée donnant sur la mer Méditerranée. Ils avaient essayé de le tuer. Ils avaient échoué. Alors ils avaient essayé de l’enterrer vivant dans son propre corps.

Il se tourna vers Léa. — Tu as dit que Philippe avait peur d’une dame. La dame aux yeux de glace.

— Oui.

— Il est temps que nous découvrions qui elle est. Il y a un conseil d’administration dans deux semaines à Marseille. C’est là que tout va se jouer. Tu viendras avec moi, Léa. Tu seras mes yeux et mes oreilles.

— J’ai peur, avoua la petite fille.

— Moi aussi, dit Maxime. Mais ensemble, on est plus forts que leur tonnerre.

Partie 3

Le jour du conseil d’administration, le ciel au-dessus de Marseille était d’un gris acier, menaçant d’orage, comme si la météo elle-même se mettait au diapason de la tension qui régnait dans le siège social de Delacroix Shipping.

Maxime n’avait prévenu personne de sa venue. Officiellement, il était souffrant, alité à Saint-Tropez, incapable de voyager. Son oncle Philippe avait prévu de profiter de cette absence pour faire voter une motion spéciale : la mise sous tutelle définitive de Maxime pour “incapacité mentale irréversible”. Cela donnerait à Philippe les pleins pouvoirs, légalement et définitivement.

Le convoi de Maxime, composé de trois SUV blindés noirs, entra dans le parking souterrain. Maxime était dans le véhicule central. À ses côtés, Élise tenait la main de Léa. La petite fille était pâle, ses yeux scannant l’invisible.

— Ça sent mauvais ici, murmura-t-elle dès qu’ils entrèrent dans l’ascenseur privé. Ça sent la peur et le métal froid.

— Reste concentrée, ma puce, dit doucement Maxime. Cherche la dame aux yeux de glace.

L’ascenseur monta silencieusement vers le 40ème étage. Maxime était assis dans son fauteuil roulant. Bien qu’il puisse désormais se tenir debout quelques minutes et faire quelques pas avec une canne, il avait choisi de garder le fauteuil pour l’effet de surprise. Et surtout, il ne pouvait pas risquer de tomber en pleine confrontation.

Les portes s’ouvrirent. La réceptionniste, une jeune femme nommée Sophie, laissa tomber son téléphone en voyant Maxime. — Monsieur Delacroix ! Mais… nous ne vous attendions pas !

— C’est le principe d’une surprise, Sophie, répondit-il froidement. La salle du conseil est occupée ?

— Oui, Monsieur. Ils… ils vont voter.

Maxime fit signe à sa sécurité d’ouvrir les doubles portes en chêne massif de la salle de conférence.

Le bruit des conversations s’arrêta net. Douze têtes se tournèrent vers l’entrée. Au bout de la longue table ovale, Philippe Delacroix, cigare à la main (malgré l’interdiction), se figea, la bouche ouverte.

— Bonjour, mon oncle, lança Maxime en faisant rouler son fauteuil jusqu’en bout de table, à la place du PDG qui lui revenait de droit. Je ne suis pas en retard, j’espère ?

Philippe reprit contenance, bien que son teint soit devenu cireux. — Maxime… Quelle… quelle surprise merveilleuse ! Mais tu devrais être au lit. Le voyage est dangereux pour ta condition fragile.

— Ma condition s’améliore, Philippe. Curieusement, depuis que j’ai changé de régime alimentaire.

Il y eut des murmures autour de la table. Maxime scanna les visages. Il vit de la confusion, de la culpabilité chez certains, de l’indifférence chez d’autres.

Il fit un signe discret à Léa, qui était restée près de la porte avec sa mère, à l’écart mais avec une vue d’ensemble.

Léa observa. Elle vit le “tonnerre” autour de Philippe, noir et crépitant. Elle vit la peur jaune de deux autres hommes. Et puis, elle la vit.

Assise à la droite de Philippe, il y avait une femme élégante, aux cheveux blonds coupés au carré, vêtue d’un tailleur blanc immaculé. Elle ne montrait aucune émotion. Son visage était lisse, parfait. Mais pour Léa, elle brillait d’une lumière bleue, froide et tranchante comme un scalpel. C’était elle.

Léa s’avança timidement et chuchota à l’oreille de Maxime. — La dame en blanc. C’est elle. Elle est froide comme la glace. Elle ne ressent rien.

Maxime posa son regard sur la femme. Valérie Castella. La directrice financière. Celle qui avait été la protégée de son père. Celle en qui il avait une confiance aveugle.

— Valérie, dit Maxime.

La femme leva un sourcil parfaitement dessiné. — Maxime. C’est un plaisir de te voir.

— Est-ce vraiment le cas ? demanda-t-il. Ou es-tu déçue que la durite de frein n’ait pas complètement lâché ?

Un silence de mort tomba sur la salle. On aurait pu entendre une mouche voler.

— Je ne sais pas de quoi tu parles, répondit-elle calmement, bien que ses doigts se soient crispés sur son stylo Montblanc.

Maxime sortit un dossier épais qu’il jeta au centre de la table. Il glissa jusqu’à Philippe. — Ce dossier contient les rapports toxicologiques prouvant que j’ai été empoisonné pendant six mois. Il contient les aveux enregistrés du Dr Garnier, qui a craqué hier soir quand la police lui a rendu visite. Il contient l’expertise de ma voiture prouvant le sabotage. Et il contient les traces numériques des virements effectués par toi, Philippe, et toi, Valérie, vers des comptes offshore.

Philippe se leva brusquement, renversant sa chaise. — C’est faux ! Ce sont les délires d’un cerveau malade ! Tu es instable, Maxime ! Regardez-le ! Il amène sa femme de ménage et une gamine au conseil d’administration ! Il est fou !

— Je suis plus lucide que je ne l’ai été depuis deux ans, rétorqua Maxime.

Philippe regarda autour de lui, cherchant du soutien, mais les autres membres du conseil reculaient, horrifiés par les preuves étalées. Il se tourna vers Valérie. — Fais quelque chose ! hurla-t-il.

Valérie soupira, comme si elle était ennuyée par tant de médiocrité. Elle ouvrit son sac à main posé sur la table.

— Léa ! cria soudain Maxime, voyant l’aura de l’enfant virer au rouge vif.

— Elle a du métal ! hurla Léa. Attention !

Valérie sortit un petit pistolet automatique chromé. Ce n’était pas une arme de guerre, mais à cette distance, c’était mortel. Elle le pointa directement sur la poitrine de Maxime.

— Tu as toujours été trop résilient, Maxime, dit-elle d’une voix monotone. Ton père aussi était difficile à éliminer. J’ai dû m’y prendre à deux fois pour lui aussi.

La révélation frappa Maxime comme un coup de poing. La crise cardiaque de son père, trois ans plus tôt… Ce n’était pas naturel.

— Tu as tué mon père…

— C’était nécessaire pour l’évolution de l’entreprise. Philippe était censé être une marionnette facile à manipuler, mais il est incompétent. Toi, tu devenais gênant.

— Baisse cette arme, Valérie, dit Philippe, tremblant. On ne peut pas… il y a des témoins !

— Tais-toi, imbécile, cingla-t-elle. On dira qu’il a eu une crise de démence, qu’il t’a menacé, que j’ai tiré pour te défendre. C’est ma parole contre celle d’une bonne et d’une gamine.

Elle arma le chien du pistolet.

Tout se passa au ralenti. La sécurité était à l’extérieur des doubles portes, qui étaient verrouillées de l’intérieur par Philippe au début de la réunion. Ils tambourinaient pour entrer.

Maxime savait qu’il ne pouvait pas bouger son fauteuil assez vite. Valérie allait tirer.

C’est alors que Léa fit l’impensable. Au lieu de fuir, elle courut. Non pas vers la sortie, mais vers Valérie. Elle lança son petit corps contre le bras de la femme en hurlant un cri perçant, un cri de pure terreur et de courage.

Le coup partit.

La détonation fut assourdissante dans l’espace confiné.

Une vitre derrière Maxime explosa.

Valérie, déséquilibrée par le choc de l’enfant, avait manqué sa cible de quelques centimètres. Furieuse, elle repoussa violemment Léa qui tomba lourdement au sol, se cognant la tête.

— Sale petite peste ! cracha Valérie en réajustant son tir vers l’enfant au sol.

C’en fut trop pour Maxime. L’adrénaline inonda son système nerveux, court-circuitant la douleur, la faiblesse, l’atrophie.

Il rugit.

Poussant sur les accoudoirs de son fauteuil avec une force surhumaine, Maxime Delacroix se leva. Il ne vacilla pas. Il bondit.

Il parcourut les deux mètres qui le séparaient de Valérie avant qu’elle ne puisse presser la détente une seconde fois. Il saisit son poignet et le tordit avec une violence sauvage. L’os craqua. Valérie hurla et lâcha l’arme.

Maxime la plaqua contre le mur, sa main serrant sa gorge. — Ne touche… plus jamais… à ma fille !

Les portes cédèrent enfin sous les coups de bélier de la sécurité. Les gardes envahirent la pièce, armes au poing.

Philippe était recroquevillé sous la table, pleurant comme un enfant. Valérie, maîtrisée par Maxime qui tenait à peine debout, le regardait avec une haine pure, mais aussi avec une lueur de peur. Elle avait vu l’impossible : le paralysé avait marché.

Élise se précipita vers Léa qui était sonnée au sol. — Léa ! Ma chérie !

La petite fille ouvrit les yeux, cligna des paupières, et vit Maxime debout, dominant la situation. Un faible sourire apparut sur ses lèvres en sang.

— Je savais… chuchota-t-elle. Je savais que tu marcherais pour nous sauver.

Maxime lâcha Valérie qui fut immédiatement menottée par les gardes. Il se tourna vers Léa, ses jambes tremblant violemment maintenant que l’adrénaline retombait. Il s’effondra à genoux près d’elle, ignorant la douleur dans ses genoux.

— Tu m’as sauvé, Léa. Encore une fois.

Il prit Élise et Léa dans ses bras, formant un rempart protecteur au milieu du chaos de la salle du conseil, alors que les sirènes de police commençaient à hurler dans les rues de Marseille, annonçant la fin du cauchemar.

Partie 4

Six mois avaient passé depuis la fusillade au siège de Marseille. L’affaire avait fait la une de tous les journaux : « Le Complot de la Côte d’Azur », « L’Héritier Miraculé », « La Directrice Financière Tueuse en Série ».

Philippe Delacroix avait plaidé coupable pour éviter la perpétuité, acceptant une peine de vingt ans de prison. Il avait tout avoué : la jalousie envers son frère, la manipulation par Valérie, le poison. Valérie Castella, elle, restait mutique dans sa cellule de haute sécurité, attendant son procès pour les meurtres du père de Maxime et les tentatives sur Maxime. Son arrogance glaciale ne l’avait pas quittée, mais son pouvoir était brisé.

À la Villa Delacroix, l’hiver avait laissé place à un printemps radieux. Les mimosas étaient en fleurs, tachant de jaune les collines environnantes.

Maxime se tenait sur la terrasse, face à la mer. Il s’appuyait sur une élégante canne en ébène, mais il se tenait droit. La rééducation avait été brutale, impitoyable, mais il marchait. Chaque pas était une victoire sur ceux qui l’avaient voulu mort.

Il ajusta son nœud papillon. Ce soir était un grand soir.

— Tu es très beau, fit une voix douce derrière lui.

Il se retourna. Élise se tenait là, magnifique dans une robe de soirée bleu nuit. Elle n’était plus la femme de ménage effrayée. Elle était devenue la directrice de la nouvelle fondation de Maxime, et bien plus encore dans son cœur.

Maxime s’approcha d’elle et prit ses mains. — Pas aussi beau que toi. Tu es prête ?

— Nerveuse, admit-elle. Il y aura tout le gratin de Saint-Tropez. Et la presse.

— Ils ne sont pas là pour moi, dit Maxime. Ils sont là pour elle.

Comme à son habitude, Léa apparut sans faire de bruit. Elle portait une petite robe blanche avec un ruban de satin rose. Elle avait grandi en six mois. Ses joues étaient plus rondes, son regard moins hanté, mais toujours aussi profond.

— Tu as une musique de fête ce soir, papa, dit-elle avec un sourire malicieux.

Le mot fit vibrer le cœur de Maxime plus fort que n’importe quelle musique. “Papa”. L’adoption avait été finalisée la semaine précédente. Sur le papier, Léa était maintenant Léa Delacroix. Dans les faits, elle l’était depuis le moment où elle avait jeté cette pilule verte.

— C’est parce que j’ai une surprise, répondit-il.

La soirée de gala de la “Fondation Léa pour la Vérité Médicale” fut un triomphe. Maxime fit un discours émouvant, debout sur l’estrade, racontant comment l’intuition d’une enfant avait démasqué un crime que la science et la police avaient ignoré.

— Nous vivons dans un monde de données, de faits, de preuves, déclara-t-il au micro. Mais parfois, la vérité ne se trouve pas dans un fichier Excel ou un rapport médical. Elle se trouve dans le ressenti, dans l’instinct, dans l’amour. Ma fille m’a appris à écouter ce qu’on n’entend pas.

Les applaudissements furent tonitruants.

Plus tard dans la soirée, alors que les invités dansaient, Maxime s’éclipsa avec Léa et Élise vers un petit salon privé.

— J’ai promis une surprise, dit Maxime.

Il sortit une grande enveloppe. — Nous avons beaucoup d’argent, c’est vrai. Mais l’argent ne sert à rien s’il ne construit pas l’avenir. Léa, tu as un don, mais c’est aussi une charge. Tu entends le “tonnerre” des méchants, la tristesse des autres. Ça peut être épuisant.

Léa hocha la tête gravement. — Parfois, je voudrais des bouchons d’oreilles pour le cœur.

— Exactement. C’est pourquoi j’ai acheté le vieux monastère sur la colline, à dix kilomètres d’ici.

Élise écarquilla les yeux. — Le monastère abandonné ? Mais c’est une ruine !

— Plus maintenant, sourit Maxime. Les travaux commencent lundi. Ce sera “L’École des Colibris”. Une école pour les enfants comme Léa. Les hypersensibles, les intuitifs, ceux que le système classique brise ou drogue parce qu’ils sont “différents”. Ils apprendront à gérer leur don, à se protéger, à l’utiliser pour faire le bien, entourés de spécialistes qui les comprendront.

Léa regarda les plans qui sortaient de l’enveloppe. Ses yeux s’embuèrent. — Je ne serai plus toute seule ?

— Jamais, affirma Maxime en s’agenouillant (avec une petite grimace de douleur, mais une fierté immense). Tu auras des amis qui entendent la même musique que toi.

Léa se jeta à son cou. Élise les rejoignit, les larmes coulant sur ses joues. Ils formèrent un bloc compact, indestructible.

— Dis-moi, Léa, demanda Maxime après un moment. Maintenant que tout est fini… qu’est-ce que tu ressens pour notre avenir ? Quelle est notre musique ?

Léa ferma les yeux, se concentrant. Elle écouta le silence de la nuit, le battement de cœur de sa mère, le souffle calme de son père. Elle ne sentit aucun tonnerre, aucune glace, aucun gris.

Elle ouvrit les yeux et sourit, un sourire qui illumina la pièce comme un soleil levant.

— C’est une symphonie, dit-elle. Elle monte très haut, vers les étoiles. Et elle ne s’arrête jamais.

Maxime embrassa le front de sa fille, se releva en tenant la main de la femme qu’il aimait, et ensemble, ils retournèrent vers la lumière de la fête, prêts à vivre la vie qu’on avait failli leur voler.

FIN.

Related Posts

Our Privacy policy

https://topnewsaz.com - © 2026 News