La fille de ma gouvernante m’a empêché de monter dans ma voiture à Paris et m’a sauvé la vie.

Partie 1

Le soleil de fin d’après-midi allongeait les ombres sur l’allée de marbre de mon hôtel particulier dans le 16ème arrondissement de Paris. Je m’appelle Gabriel Delacroix. À 35 ans, j’avais bâti Delacroix Tech, un empire de 15 milliards d’euros. Chaque seconde de ma journée était allouée, optimisée, mesurée. Je vivais ma vie comme je gérais mon entreprise : avec une précision chirurgicale.

Je descendais les marches du perron, ajustant ma veste en costume sur-mesure, mon esprit déjà focalisé sur la réunion du conseil d’administration prévue dans trente minutes à La Défense. Je défilais mes e-mails sur mon téléphone, ignorant la beauté de l’architecture parisienne qui m’entourait.

— Monsieur Delacroix ? Monsieur Delacroix, s’il vous plaît !

La petite voix s’inscrivait à peine dans mon champ de conscience. Je continuais d’avancer vers ma berline noire où mon chauffeur, Rachid, se tenait près de la porte arrière ouverte. Il avait son téléphone pressé contre l’oreille, parlant rapidement en arabe, le regard fuyant.

L’ordre du jour de la réunion défilait dans ma tête : la proposition de fusion, les projections trimestrielles, les membres sceptiques du conseil que je devais convaincre. Je n’avais pas de temps à perdre.

— Monsieur Delacroix !

Une petite main agrippa ma manche avec une force surprenante. Je me suis arrêté net, une étincelle d’irritation traversant mon visage alors que je baissais les yeux.

Léa, la fille de ma gouvernante Sofia, me fixait avec de grands yeux bruns terrifiés. Cette enfant de six ans était d’ordinaire si calme que je me souvenais à peine de son existence. Elle jouait souvent silencieusement dans le jardin pendant que sa mère travaillait. Mais aujourd’hui, ses boucles brunes étaient en désordre, sa petite robe jaune avait des taches d’herbe aux genoux, et des larmes traçaient des sillons sur ses joues rondes.

— Léa, je n’ai pas le temps, ai-je commencé doucement, essayant de libérer mon bras.

— Ne montez pas dans la voiture !

Les mots ont éclaté d’elle comme un barrage qui cède. Son petit corps tremblait, mais sa prise sur ma manche se resserra.

— S’il vous plaît, Monsieur Delacroix, s’il vous plaît, ne montez pas.

J’ai jeté un coup d’œil à ma montre Patek Philippe. 28 minutes avant la réunion.

— Chérie, j’ai une réunion très importante. Lâche-moi maintenant.

J’ai utilisé ma voix patiente mais ferme, celle qui fonctionnait avec les stagiaires trop zélés.

— NON !

Le cri de Léa m’a surpris. Elle n’élevait jamais la voix. Jamais. Elle a planté ses pieds au sol et a tiré plus fort sur ma veste italienne.

— Il a dit des choses méchantes ! Je l’ai entendu ! La voiture n’est pas sûre !

— Léa ! Sofia !

Sofia, ma gouvernante, est sortie précipitamment par l’entrée de service, le visage rouge de honte.

— Je suis tellement désolée, Monsieur Delacroix. Léa, lâche Monsieur tout de suite !

Elle a tendu la main vers sa fille, mais Léa s’est esquivée derrière mes jambes, s’accrochant toujours à ma veste comme à une bouée de sauvetage.

— Sofia, ce n’est rien, dis-je, bien que ma mâchoire se soit crispée. Léa, de quoi parles-tu ?

— Rachid était au téléphone, dit Léa, ses mots trébuchant entre deux sanglots. Dans le jardin, j’étais près des rosiers. Il ne m’a pas vue. Il parlait cette autre langue… et il était en colère. Il a dit… il a dit…

Elle ferma les yeux très fort, se concentrant.

— Il a dit : “Le paquet est prêt, ce sera fini aujourd’hui, il ne survivra pas au trajet.”

J’ai senti un frisson froid me parcourir l’échine. J’ai regardé Rachid. Il avait terminé son appel et se tenait près de la voiture, son expression neutre, mais ses yeux… ses yeux étaient vigilants, calculateurs. Rachid était mon chauffeur depuis trois ans, recommandé par une agence de sécurité de haut vol, toujours ponctuel, toujours professionnel.

— Léa, Rachid parle souvent à sa famille. Tu as probablement mal compris.

— Je sais ce que j’ai entendu ! La voix de Léa se brisa. Ma copine Amel à l’école, sa grand-mère parle arabe. Je connais des mots. Et je sais quand quelqu’un a l’air méchant et effrayant. S’il vous plaît, Monsieur, ne montez pas dans cette voiture.

Le visage de Sofia avait pâli.

— Léa a toujours été… sensible aux choses, dit-elle doucement. Depuis qu’elle est toute petite. Elle sait des choses qu’elle ne devrait pas savoir. Je sais que ça paraît fou.

— C’est fou, ai-je répondu.

Mais quelque chose dans les yeux de Léa m’a fait hésiter. Il n’y avait aucun caprice d’enfant là-dedans. Aucune colère, seulement une terreur pure et désespérée. Le genre de peur qui transcende l’âge et exige l’attention.

Rachid fit un pas en avant.

— Monsieur Delacroix, nous devrions partir maintenant si vous voulez arriver à La Défense à l’heure. Le trafic sur le Périphérique est dense.

— J’appelle une autre voiture, me suis-je entendu dire.

J’ai sorti mon téléphone.

— Un imprévu. Je vais reporter la réunion.

Léa relâcha ma manche, son petit corps s’affaissant de soulagement.

— Vous me croyez ?

J’ai regardé ce visage baigné de larmes. Cette minuscule fille venait de faire dérailler ma journée méticuleusement planifiée sur la base de rien d’autre qu’une conversation téléphonique entendue et un sentiment. Toute ma logique d’homme d’affaires hurlait à l’absurde. Mais un instinct plus profond, celui qui m’avait maintenu en vie dans le monde des requins de la finance, me chuchotait d’écouter.

— Je vais vérifier, dis-je prudemment. Rachid, pourriez-vous ouvrir le coffre une seconde ?

Quelque chose vacilla sur le visage de Rachid. Puis le masque professionnel revint.

— Bien sûr, Monsieur.

Mais dans cette micro-expression, je l’ai vu. La culpabilité. La peur. Le calcul. Mon sang s’est glacé.

— En fait, éloignez-vous du véhicule, ordonnai-je, ma voix durcissant avec l’autorité que j’utilisais dans les salles de conseil. Sofia, emmène Léa à l’intérieur, tout de suite.

— Monsieur Delacroix, je ne comprends pas… commença Rachid.

— J’ai dit : ÉLOIGNEZ-VOUS DE LA VOITURE !

Je composais déjà le 17.

Quinze minutes plus tard, ma rue tranquille du 16ème arrondissement fourmillait de véhicules de police et d’une équipe de déminage. Je me tenais avec Léa et Sofia dans la cuisine, regardant par la fenêtre les techniciens en tenue de protection examiner ma berline.

Le commissaire entra dans la cuisine, le visage grave.

— Monsieur Delacroix, dit-il calmement. Nous avons trouvé un engin explosif sous le siège passager arrière. Sophistiqué, déclenché à distance.

Il marqua une pause, son regard se posant sur Léa avec une sorte de stupeur.

— Si vous étiez monté dans cette voiture et aviez pris le tunnel de Saint-Cloud, vous seriez mort sur le coup. Cette petite fille vous a sauvé la vie.

Les mots restèrent suspendus dans l’air. Je regardai Léa, la regardant vraiment pour la première fois. Cette enfant silencieuse que je croisais sans voir.

— Comment savais-tu ? demandai-je, la voix rauque. Léa, comment as-tu vraiment su ?

Ses yeux bruns rencontrèrent les miens, et j’y vis quelque chose d’ancien, une sagesse qui n’avait pas sa place dans le regard d’une enfant de six ans.

— Parfois, je sais des choses, dit-elle simplement. Maman dit que c’est un don, mais… il y a autre chose, Monsieur.

Elle hésita, tordant ses mains.

— Quoi d’autre ?

— Le monsieur au téléphone… Rachid… il n’était pas seul. Il parlait à quelqu’un. Et j’ai vu… j’ai vu une image dans ma tête. Une dame.

— Une dame ?

— Elle vous ressemble, Monsieur. Elle a vos yeux. Elle est enfermée quelque part où il fait froid. Elle pleure. Et elle a un dossier bleu.

Mon cœur rata un battement. Je suis enfant unique. Mes parents sont morts il y a dix ans. Je n’ai pas de famille.

— Léa, je n’ai pas de sœur.

— Si, insista-t-elle avec une certitude effrayante. Vous en avez une. Et les méchants veulent la tuer aussi parce qu’elle a découvert leur secret. C’est pour ça qu’ils voulaient vous faire mal. Pour l’arrêter, elle.

Le commissaire et moi avons échangé un regard. Mon monde, si ordonné, si parfait, venait de voler en éclats.

Partie 2

Les gyrophares bleus de la police balayaient la façade haussmannienne de mon immeuble, projetant des ombres dansantes sur les murs de ma cuisine. Le silence qui avait suivi la découverte de la bombe était plus assourdissant que n’importe quelle explosion. Je tenais une tasse de thé brûlant que je ne buvais pas, mes mains tremblant imperceptiblement. Pas de peur, non. De rage. Une rage froide, calculatrice, celle qui m’avait permis de bâtir mon empire, mais qui cette fois cherchait une cible bien plus viscérale.

En face de moi, le commandant Bernard de la Brigade Criminelle prenait des notes. À côté de lui, un homme en costume gris, plus discret, qui s’était présenté comme l’Agent Leroux de la DGSI (Direction Générale de la Sécurité Intérieure). L’affaire avait pris une tournure nationale en quelques minutes. Une tentative d’assassinat sur l’un des plus grands chefs d’entreprise français, impliquant des explosifs militaires, ce n’était plus du ressort de la police de quartier.

— Monsieur Delacroix, reprit Leroux, sa voix calme contrastant avec le chaos extérieur. Nous devons parler de Rachid Benali. Votre chauffeur.

Rachid. L’homme à qui je confiais ma vie tous les matins depuis trois ans. L’homme qui connaissait mes horaires, mes habitudes, mes silences.

— Il est en salle d’interrogatoire, dis-je sèchement. Qu’a-t-il dit ?

— Il négocie, répondit Leroux en posant un dossier sur la table en marbre. Il veut une protection pour sa famille au Maroc. En échange, il nous livre le nom de l’organisation.

— Quelle organisation ?

— Celle que nous traquons depuis deux ans. Un réseau de l’ombre qui élimine systématiquement les obstacles à certains conglomérats pharmaceutiques et technologiques. Ils s’appellent “Le Cercle”. Et Rachid a confirmé une chose terrifiante, Monsieur Delacroix : vous n’étiez pas une cible aléatoire. C’était un contrat.

Je regardai Léa. Elle était assise sur le grand canapé du salon, emmitouflée dans une couverture en cachemire trop grande pour elle. Sofia, sa mère, lui caressait les cheveux, murmurant des prières en espagnol. La petite ne dormait pas. Ses grands yeux bruns étaient fixés sur le vide, et elle semblait écouter une conversation que nous ne pouvions pas entendre.

— Pourquoi ? demandai-je. Pourquoi moi ? Je suis dans la tech, pas dans la pharma.

Leroux échangea un regard lourd avec le commandant. Il ouvrit le dossier. À l’intérieur, deux photos. La mienne… et une autre.

Mon cœur s’arrêta.

Sur la deuxième photo, c’était moi. Mais avec les cheveux longs, attachés en un chignon strict, portant une blouse blanche. Les mêmes yeux noirs intenses. La même ligne de mâchoire. La même fossette au menton.

— Qui est-ce ? soufflai-je, ma voix étranglée.

— Elle s’appelle Camille Moreau, dit Leroux. C’est une chercheuse en neurobiologie de renommée, basée à Lyon jusqu’à la semaine dernière. Elle a disparu il y a quatre jours après avoir téléchargé des milliers de documents confidentiels des serveurs de Novaxium, un géant pharmaceutique.

Il marqua une pause, laissant la vérité s’installer.

— Monsieur Delacroix, vos parents ne vous ont pas tout dit. Vous avez été adopté. Camille Moreau est votre sœur jumelle.

Le monde a basculé. Pas physiquement, mais intérieurement. Les fondations de mon identité, déjà ébranlées par la bombe, venaient de s’effondrer. Adopté ? Jumelle ?

— C’est impossible. Mes parents…

— Vos parents adoptifs, coupa doucement Leroux. Les dossiers étaient scellés. C’était une pratique courante il y a 35 ans pour certaines agences d’adoption fermées. Séparer les jumeaux pour “maximiser les chances d’intégration”. Une théorie barbare. Vous avez atterri dans le 16ème arrondissement. Camille a atterri dans une famille de classe moyenne à Lyon.

Je fixais la photo. Camille. Ma sœur. Une étrangère qui portait mon visage.

— Pourquoi veulent-ils me tuer pour l’atteindre ?

— Parce qu’ils pensent que vous avez les documents. Ou qu’elle vous a contacté. Rachid a avoué que l’ordre venait directement de “L’Architecte”, le chef des opérations du Cercle. Ils savaient que Camille avait découvert que leur nouveau médicament miracle contre Alzheimer, le NeuroLife, causait en réalité une dégénérescence cérébrale foudroyante chez 15% des patients. Ils allaient le commercialiser le mois prochain. Des milliards en jeu. Camille a les preuves. Ils la traquent. Et ils ont décidé de “nettoyer” toute la lignée génétique pour être sûrs.

Soudain, un bruit sourd nous fit sursauter.

Léa avait laissé tomber sa tasse de chocolat chaud. Le liquide brun se répandait sur le tapis persan, mais personne ne s’en souciait. La petite était rigide, le dos cambré, les yeux révulsés.

— Léa ! cria Sofia en se précipitant.

Je courus vers elles, oubliant l’Agent Leroux, oubliant les milliards, oubliant tout sauf cette enfant.

— Elle brûle ! Elle est bouillante ! hurla Sofia en touchant le front de sa fille.

Léa commença à parler, mais ce n’était pas sa voix d’enfant. C’était une voix rauque, précipitée, haletante.

— L’eau… l’eau est noire. Ça sent le fer. Les briques rouges… les grandes fenêtres cassées… elle a froid… elle a si froid…

Je pris les petites mains de Léa dans les miennes.

— Léa, regarde-moi. De qui parles-tu ? De la dame ? De Camille ?

Ses yeux revinrent vers moi, mais ils ne me voyaient pas. Ils voyaient ailleurs.

— Le canal… les bateaux ne passent plus… L’usine avec la cheminée cassée… Pantin… non… Aubervilliers… Les Magasins Généraux… elle est au sous-sol… les rats… l’homme aux cheveux gris arrive… il a un pistolet avec un long tuyau…

Elle se mit à trembler violemment.

— Il arrive ! Il va la trouver ! Il faut y aller maintenant ! Gabriel, il faut y aller !

C’était la première fois qu’elle m’appelait Gabriel. Pas “Monsieur”. Gabriel. Comme si mon prénom était une ancre pour la ramener à la réalité.

Je me tournai vers Leroux.

— Vous connaissez cet endroit ?

Leroux était déjà au téléphone, aboyant des ordres.

— Les anciens entrepôts des Magasins Généraux à Aubervilliers, le long du canal Saint-Denis. C’est une zone désaffectée, un labyrinthe. Si elle est là-bas, c’est l’endroit idéal pour se cacher… et pour mourir.

— J’y vais, dis-je en me levant.

— Hors de question, Monsieur Delacroix. C’est une opération tactique. Vous restez ici sous protection.

J’attrapai Leroux par le revers de sa veste. Le milliardaire poli avait disparu. Le frère venait de naître.

— C’est ma sœur. C’est mon visage qu’elle voit dans le miroir. Si elle me voit, elle me fera confiance. Si elle voit vos hommes en cagoules, elle fuira ou elle tirera. Et cette petite…

Je désignai Léa qui s’apaisait doucement dans les bras de sa mère.

— Cette petite vient de me sauver la vie et de localiser une cible que vos services de renseignement cherchent depuis quatre jours. Elle dit que je dois y aller. Alors j’y vais. Avec ou sans vous.

Leroux me dévisagea, évaluant la détermination dans mon regard. Il lâcha un soupir exaspéré.

— D’accord. Mais vous portez un gilet pare-balles et vous restez derrière moi. À la moindre erreur, je vous menotte dans la voiture.

— Sofia, dis-je en me tournant vers ma gouvernante. Enfermez-vous à double tour. Les policiers restent devant la porte. Je reviens. Je vous le promets.

Léa leva ses yeux fatigués vers moi.

— Ramenez-la, Gabriel. Ils sont le même cœur que vous.

Cette phrase me hanta pendant tout le trajet en voiture blindée vers la banlieue nord de Paris. Le même cœur.

Aubervilliers, minuit. La pluie avait commencé à tomber, une pluie fine et glaciale qui transformait la poussière de béton en boue grise. Le complexe des entrepôts désaffectés se dressait comme une carcasse de bête préhistorique contre le ciel orange de la pollution urbaine. Des fenêtres brisées, des graffitis, des structures métalliques rouillées.

L’équipe d’intervention de la DGSI, lourdement armée, progressait en silence tactique. Je les suivais, engoncé dans un gilet kevlar trop lourd, mon cœur battant à tout rompre contre mes côtes. L’odeur ici était un mélange d’urine, de moisissure et de canal stagnant.

— Selon la petite, elle est au sous-sol, chuchota Leroux dans son micro. Section Nord. On avance.

Nous pénétrames dans le bâtiment principal. L’obscurité était totale, percée seulement par les faisceaux lasers des armes. Chaque craquement de verre sous mes chaussures de luxe me semblait être une détonation.

Pourquoi Camille s’était-elle cachée ici ? Comment une chercheuse brillante avait-elle fini dans ce cloaque ? La réponse était simple : la peur. Une peur absolue.

— Contact visuel, murmura un agent de tête. Une silhouette. Sous-sol, niveau -2.

Nous descendîmes un escalier en colimaçon métallique qui gémissait sous notre poids. L’eau suintait des murs. En bas, une vaste salle des machines, encombrée de tuyaux et de débris.

Et là, recroquevillée derrière une vieille turbine, je la vis.

Elle tenait une barre de fer à la main, prête à frapper. Ses vêtements étaient déchirés, son visage maculé de graisse et de sang séché. Elle tremblait de froid et d’épuisement.

— Police ! Lâchez votre arme ! cria un agent.

Camille sursauta, ses yeux scannant frénétiquement l’obscurité, cherchant une issue. Elle allait courir. Elle allait se jeter dans un piège.

— Non ! Attendez ! criai-je en me précipitant devant les agents, les mains en l’air.

— Monsieur Delacroix ! Reculez !

J’ignorai l’ordre. J’avançai dans la lumière de leurs lampes torches. Je retirai mon gilet, ma veste, ma cravate, pour qu’elle puisse me voir. Vraiment me voir.

— Camille ? dis-je doucement.

Elle se figea. Elle plissa les yeux, éblouie, puis son regard se posa sur mon visage.

Le choc fut physique. C’était comme se regarder dans un miroir, mais un miroir qui renvoyait une image de souffrance et de survie. Elle baissa sa barre de fer, la bouche entrouverte.

— Qui… qui êtes-vous ? sa voix était cassée, rauque. Pourquoi avez-vous mon visage ?

— Je m’appelle Gabriel. Je suis… je crois que je suis ton frère.

Elle recula d’un pas, chancelante.

— C’est un piège. Ils ont fait de la chirurgie… ils ont envoyé un clone… L’Architecte est capable de tout…

— Non, Camille. Écoute-moi. Je ne savais pas non plus. C’est une petite fille qui me l’a dit. Une petite fille nommée Léa. Elle a dit que tu étais ici, dans le froid, avec un dossier bleu.

À la mention du dossier, Camille pressa instinctivement un sac étanche contre sa poitrine.

— Léa ? Je ne connais pas de Léa.

— Elle te connaît, elle. Elle t’a vue dans sa tête. Elle m’a sauvé la vie ce matin. Ils ont piégé ma voiture. Ils voulaient nous tuer tous les deux.

Je m’approchai encore, lentement. Je tendis la main.

— Je ne travaille pas pour eux, Camille. Je suis une cible, comme toi. Regarde-moi. Regarde mes yeux. Ce sont les tiens.

Camille me scruta. Elle cherchait le mensonge, la supercherie. Mais la biologie ne ment pas. Ce lien invisible, cette résonance dont parlaient les légendes sur les jumeaux, elle était là. Vibrante. Électrique.

Elle lâcha sa barre de fer. Elle s’effondra à genoux, épuisée.

Je me précipitai pour la rattraper avant qu’elle ne touche le sol boueux. Quand je la tins dans mes bras, une vague d’émotion brute me submergea. J’avais passé ma vie à me sentir seul au milieu d’une foule. Je venais de comprendre pourquoi. Il me manquait ma moitié.

— Je suis là, murmurai-je dans ses cheveux sales. Je te tiens.

— Ils arrivent, souffla-t-elle contre mon épaule. L’homme aux cheveux gris… Victor… il est là.

— Contact ! cria soudain l’Agent Leroux. Hostiles à 3 heures !

Le vacarme déchira l’air. Des coups de feu claquèrent, résonnant follement dans la salle en béton. Des étincelles jaillirent de la turbine au-dessus de nos têtes.

— Couvrez-les ! Sortez-les de là !

Je tirai Camille vers l’arrière, la protégeant de mon corps, alors que l’enfer se déchaînait.

— Il faut courir ! criai-je.

Partie 3

La course à travers les sous-sols inondés d’Aubervilliers fut un flou cauchemardesque de bruits et de lumières stroboscopiques. Je tenais la main de Camille si fort que mes jointures étaient blanches. Elle courait avec une énergie désespérée, celle des bêtes traquées. Derrière nous, les tirs de suppression de la DGSI couvraient notre fuite, mais je savais que l’homme aux cheveux gris – Victor Kraus, l’exécuteur de l’Architecte – n’était pas loin.

Nous avons jailli dans la nuit froide par une sortie de secours latérale, nous engouffrant dans un SUV blindé qui démarra en trombe avant même que les portières ne soient fermées.

— On a la cible, aboya Leroux dans sa radio, essoufflé, assis à l’avant. On se replie vers la planque sécurisée Alpha.

Camille était recroquevillée sur la banquette arrière à côté de moi, tremblante, serrant toujours son sac étanche contre elle. Je retirai ma veste de costume, ruinée par la boue, et la posai sur ses épaules.

— Ça va aller, dis-je, bien que je n’en sois pas sûr du tout.

Elle me regarda, ses yeux – mes yeux – remplis de larmes.

— Merci, Gabriel.

— Ne me remercie pas. Remercie Léa.

Une heure plus tard, nous étions dans une maison sécurisée du gouvernement, nichée dans une forêt dense des Yvelines. C’était une forteresse moderne : vitres pare-balles, murs de béton, pas d’internet, pas de signal GPS sortant.

J’avais insisté pour que Sofia et Léa soient amenées ici aussi. Je ne voulais pas les laisser sans surveillance à Paris. Si l’Architecte savait que Léa était la cause de ses échecs, elle devenait une cible prioritaire.

Quand nous sommes entrés dans le salon principal, la scène me brisa le cœur. Léa était allongée sur un canapé médicalisé, entourée de deux médecins du service. Elle était pâle, en sueur, et semblait avoir vieilli de dix ans en quelques heures.

— Gabriel !

Sa petite voix était un murmure. Je me précipitai vers elle, Camille sur mes talons.

— Je suis là, ma puce. Regarde qui j’ai ramené.

Camille s’approcha doucement. Elle observa Léa avec une fascination scientifique mêlée d’une profonde gratitude.

— C’est toi ? demanda Camille doucement. C’est toi qui m’a vue ?

Léa ouvrit les yeux et sourit faiblement.

— Tu es la dame du miroir. Tu as froid, mais tu es en vie.

— Grâce à toi, dit Camille en prenant la petite main brûlante.

— Comment va-t-elle ? demandai-je au médecin.

— On ne comprend pas, avoua-t-il, l’air dépassé. Ses constantes vitales font le yoyo. Son activité cérébrale est… anormale. C’est comme si son cerveau était en surrégime permanent. Elle parle de voix, d’images qui se superposent.

— Le dossier, chuchota Léa en pointant le sac de Camille. Ouvre le dossier bleu.

Camille posa le sac sur la table basse et en sortit le fameux dossier. À l’intérieur, des graphiques, des emails imprimés, des rapports d’autopsie.

— Voici NeuroLife, expliqua Camille, sa voix gagnant en assurance, celle de la scientifique prenant le pas sur la fugitive. C’est censé régénérer les neurones. En réalité, ça crée une sur-stimulation qui brûle les synapses. Les essais cliniques ont été falsifiés. Trois cents morts dissimulées en “complications naturelles”.

Elle étala une série de photos.

— L’Architecte, c’est lui. Jean-Luc Vasseur.

Je reconnus l’homme immédiatement. Un philanthrope, un habitué des galas de charité, un homme que j’avais croisé à Davos. Vasseur était l’image même de la respectabilité.

— Vasseur dirige le consortium dans l’ombre, continua Camille. Il a corrompu la moitié de l’agence de régulation du médicament. Si ce dossier sort, il tombe. Lui et tout le gouvernement avec lui. C’est pour ça qu’il ne s’arrêtera jamais.

— Il nous écoute, dit soudain Léa.

Le silence tomba dans la pièce.

— Quoi ? demanda Leroux.

— L’insecte… dans la lumière… il écoute.

Léa pointa un doigt tremblant vers le lustre moderne au plafond.

Leroux jura, monta sur une chaise et dévissa le cache. Il en sortit un minuscule dispositif électronique, clignotant rouge.

— Bon sang ! C’est un mouchard de dernière génération. Il a dû être implanté avant notre arrivée. Cette maison n’est pas sûre. Ils savent qu’on est là.

— Ils arrivent, confirma Léa, les yeux se remplissant de larmes. Beaucoup d’hommes. Des hélicoptères noirs. Ils veulent brûler la maison avec nous dedans.

La panique, froide et tranchante, s’installa. Nous étions piégés.

— Il faut partir, dit Leroux. Évacuation immédiate !

— Non ! cria Léa, se redressant avec un effort surhumain.

Elle s’assit, le regard intense, presque effrayant.

— Si on court, ils nous chasseront toujours. Ils sont trop nombreux. Il a des yeux partout. On ne peut pas gagner en courant.

— Alors que fait-on ? demandai-je.

— On arrête de courir. On l’invite.

Léa tourna son regard vers moi, puis vers Camille.

— Il veut le dossier. Et il veut les jumeaux. Il pense qu’il est le plus intelligent, le plus fort. Il est orgueilleux. C’est sa faiblesse.

Elle ferma les yeux, comme pour télécharger une image.

— Le Temple… sur la montagne de pierre… au milieu du parc. Les Buttes-Chaumont. Le Temple de la Sibylle. C’est haut. On voit tout. Il ne peut pas se cacher là-bas.

— C’est un suicide, protesta Leroux. C’est un espace ouvert.

— C’est une scène, corrigea Camille, comprenant soudainement. Vasseur se voit comme un dieu, un architecte du destin. Il ne voudra pas nous tuer dans un sous-sol ou une forêt. Il voudra nous faire plier, nous faire une offre, savourer sa victoire. Le Temple de la Sibylle… c’est théâtral. Ça lui plaira.

— Gabriel, dit Léa en me serrant la main. Tu dois l’appeler. Dis-lui que tu as le dossier. Dis-lui que tu es prêt à échanger les preuves contre nos vies. Dis-lui de venir seul.

— Il ne viendra pas seul, dit Leroux.

— Non, dit Léa. Mais il viendra pour parler avant de tirer. Et c’est là qu’on l’aura.

— Comment ? demandai-je.

Léa me regarda avec une tristesse infinie.

— Parce que je vais lui dire la vérité. Celle qu’il cache au fond de son cœur noir.

Le plan était fou. C’était le plan d’une enfant de six ans fiévreuse. Mais c’était aussi notre seule chance. La fuite ne menait qu’à une mort différée. La confrontation, c’était le quitte ou double.

Je pris le téléphone sécurisé de Leroux. Je composai le numéro personnel de Vasseur, que Camille avait trouvé dans les documents.

Ça sonna deux fois.

— Monsieur Delacroix, répondit une voix onctueuse, calme. Je me demandais quand vous alliez appeler. J’espère que vous appréciez votre séjour à la campagne. Mes équipes seront là dans dix minutes.

— Rappelez-les, dis-je, ma voix aussi froide que l’acier. Ou j’envoie le dossier à la presse mondiale dans l’instant.

— Vous bluffez. Vous voulez vivre.

— Je veux un marché. Le dossier contre notre liberté.

— Je vous écoute.

— Pas au téléphone. À Paris. Dans une heure. Au Temple de la Sibylle, aux Buttes-Chaumont. Seul. Si je vois un seul de vos hommes avant notre rencontre, je clique sur “envoyer”.

Un silence. Je pouvais presque entendre son cerveau analyser les risques.

— Très romantique, le temple. Très bien. Une heure. Mais Gabriel… ne me décevez pas.

Je raccrochai.

— Il a accepté, dis-je.

— Il va venir avec une armée, prévint Leroux.

— Nous aussi, répondit Camille. Mais l’armée sera cachée. Sur le pont, il n’y aura que nous.

— Et moi, ajouta Léa.

— Non, m’écriai-je. Tu restes ici. C’est trop dangereux.

— Il faut que j’y sois, Gabriel. Je suis la clé. Il ne s’attend pas à une petite fille. Il s’attend à des soldats. C’est ma vision. Si je ne viens pas, vous mourrez tous les deux. Je l’ai vu.

Je regardai Sofia. Elle pleurait silencieusement, mais elle hocha la tête. Elle savait. Elle savait depuis toujours que sa fille avait un destin qui nous dépassait tous.

— On y va, dis-je.

Partie 4

Le parc des Buttes-Chaumont était un îlot de ténèbres au cœur de Paris. Il était deux heures du matin. Le vent hurlait à travers les arbres centenaires, et la ville scintillait au loin, indifférente à notre drame.

Nous étions au sommet de l’île rocheuse, sous la coupole du Temple de la Sibylle. La vue était imprenable, mais nous ne regardions pas le paysage. Camille et moi nous tenions côte à côte, le dossier bleu posé bien en vue sur le rebord de pierre. Nous portions des micros cachés. Dans les buissons en contrebas, Leroux et vingt agents d’élite de la DGSI attendaient, invisibles.

Léa était cachée derrière l’une des colonnes du temple, invisible depuis le pont suspendu. Elle tremblait de froid, mais elle refusait de bouger.

— Il arrive, chuchota Camille.

Une silhouette se dessina à l’autre bout de la passerelle suspendue. Jean-Luc Vasseur avançait d’un pas tranquille, les mains dans les poches de son long manteau en cachemire beige. Il n’avait pas l’air d’un tueur. Il avait l’air d’un grand-père bienveillant. C’était ce qui le rendait terrifiant.

Il s’arrêta à dix mètres de nous.

— Quelle image magnifique, dit-il en souriant. Les jumeaux réunis. La nature a un sens de la symétrie, n’est-ce pas ?

— Arrêtez vos discours, Vasseur, crachai-je. Voici le dossier. Laissez-nous partir.

Il ria doucement.

— Oh, Gabriel. Vous pensez vraiment que je vais vous laisser partir avec ce que vous savez ? Ce dossier n’est qu’un objet. Le vrai danger, c’est votre mémoire. Et celle de votre charmante sœur.

Il sortit une main de sa poche. Il tenait un petit détonateur.

— Mes hommes ont miné les piliers du pont et du temple. Un clic, et ce piton rocheux s’effondre dans le lac. Un tragique accident géologique.

Leroux hurla dans mon oreillette : On ne peut pas tirer ! S’il tombe, il lâche le bouton et tout saute !

Nous étions coincés. Vasseur avait prévu le piège. Il avait toujours un coup d’avance.

— Le progrès exige des sacrifices, continua Vasseur, ses yeux brillants d’une lueur fanatique. NeuroLife va sauver des millions de vies à long terme. Que sont quelques centaines de morts face à l’évolution de l’humanité ? Je suis un visionnaire, Camille. Vous, vous n’êtes qu’un obstacle sentimental.

Il leva le pouce vers le bouton.

— Adieu, les enfants.

— Tu as peur du noir, dit une petite voix.

Vasseur se figea. Son pouce resta en suspens.

Léa sortit de derrière la colonne. Elle avança dans la lumière de la lune, sa petite robe jaune flottant au vent, ses cheveux en bataille. Elle ne regardait pas le détonateur. Elle regardait Vasseur droit dans les yeux.

— Quoi ? Qui est-ce ? aboya Vasseur, perdant pour la première fois son calme.

— Tu as peur du noir, répéta Léa en avançant. C’est pour ça que tu laisses toujours la lumière allumée dans ton bureau. Même quand tu dors.

— Éloigne-toi, gamine ! cria-t-il, déstabilisé.

— Je te vois, Jean-Luc. Je vois le petit garçon dans la cave.

Vasseur recula d’un pas, comme frappé physiquement.

— Tais-toi !

— Ton père t’enfermait là-bas quand tu avais de mauvaises notes, continua Léa, sa voix amplifiée par l’acoustique du temple, résonnant comme un oracle antique. Il te disait que tu n’étais rien. Que tu étais faible. Que le monde t’oublierait.

Le visage de Vasseur se décomposa. Le masque de l’Architecte se fissurait, révélant l’enfant brisé en dessous.

— Comment… comment sais-tu ça ?

— Tu as construit tout ça… le Cercle, l’argent, le pouvoir… juste pour prouver à un homme mort que tu existes. Tu tues des gens pour te sentir grand. Mais tu es toujours petit, Jean-Luc. Tu es toujours ce petit garçon qui pleure dans le noir en sentant l’odeur du charbon.

Léa s’arrêta à deux mètres de lui. Elle tendit la main, paume ouverte.

— Tu es fatigué, Jean-Luc. Tu es si fatigué de porter ce masque. Pose le bouton. Personne ne t’enfermera plus dans le noir. C’est fini.

Vasseur tremblait de tout son corps. Des larmes de rage et de douleur coulaient sur ses joues. Il regardait cette enfant impossible qui lisait son âme comme un livre ouvert. Il regarda le détonateur, puis Gabriel, puis Camille, et enfin Léa.

La vérité était plus puissante que n’importe quelle arme. Léa ne le menaçait pas. Elle le comprenait. Elle démantelait sa psychopathie brique par brique en touchant sa blessure originelle.

Sa main s’ouvrit. Le détonateur tomba au sol avec un bruit mat.

— Maman… murmura-t-il.

— Go ! Go ! Go ! hurla Leroux.

Les agents surgirent des buissons. Vasseur ne résista pas. Il tomba à genoux, pleurant comme un enfant, brisé par la vérité.

Je me précipitai vers Léa et la pris dans mes bras juste au moment où ses jambes lâchaient. Elle était glacée.

— C’est fini ? demanda-t-elle tout bas.

— Oui, ma chérie. C’est fini. Tu as gagné.

Camille nous rejoignit, nous entourant de ses bras. Sur ce sommet de Paris, sous la lune, les jumeaux et l’enfant prodige formaient enfin une famille.

Épilogue

Six mois plus tard.

Le jardin de mon hôtel particulier n’avait jamais été aussi vivant. Il y avait des ballons, des rires, et une odeur de barbecue. C’était l’anniversaire de Léa. Elle fêtait ses 7 ans.

Je regardais la scène depuis la terrasse. Camille discutait avec Sofia près du buffet. Ma sœur avait repris ses recherches, mais cette fois à la tête de la fondation philanthropique de Delacroix Tech. Nous travaillions ensemble pour nettoyer les dégâts de Novaxium et aider les victimes. Vasseur et son réseau avaient été démantelés, le scandale avait secoué la République, mais la justice suivait son cours.

Léa courait dans l’herbe avec ses nouvelles copines d’école. Elle avait l’air… normale. Heureuse.

Depuis cette nuit aux Buttes-Chaumont, ses visions s’étaient calmées. Les médecins disaient que le stress avait déclenché une hyper-activité temporaire, mais je savais la vérité. Elle avait accompli sa mission. Le canal était refermé, pour l’instant.

Elle s’arrêta soudainement de courir et regarda vers moi. Elle me fit un grand signe de la main et un sourire éclatant.

Je levai mon verre en sa direction.

J’étais Gabriel Delacroix, l’homme qui avait tout : l’argent, le pouvoir, la célébrité. Mais en regardant ma sœur jumelle rire avec ma gouvernante, et cette petite fille extraordinaire souffler ses bougies, je réalisai que je n’avais rien eu avant ce jour où une main d’enfant avait agrippé ma manche.

J’avais failli mourir pour apprendre à vivre. Et pour apprendre que les vrais super-héros ne portent pas de cape. Ils portent des robes jaunes tachées d’herbe et ils n’ont pas peur du noir.

— Joyeux anniversaire, Léa, murmurai-je.

Et pour la première fois de ma vie, je me sentais complet.

Fin.

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